Traduction en français d’une lettre ouverte de plus de 500
scientifiques portant sur l’utilisation des forêts pour répondre aux
usages énergétiques.
Nous, scientifiques et économistes, signataires de cette lettre,
tenons à vous féliciter pour les objectifs ambitieux de neutralité
carbone que les États-Unis, l’Union Européenne, le Japon et la Corée du
Sud se sont engagés à atteindre d’ici 2050.
La préservation et la restauration des forêts devraient jouer un rôle
majeur dans l’atteinte de cette cible tout en profitant à la crise de
biodiversité globale à laquelle nous sommes confrontés.
Nous vous exhortons donc à ne pas saper ces objectifs de climat et de
biodiversité en remplaçant la combustion des carburants fossiles par
celle de la biomasse forestière pour produire de l’énergie.
Pendant des dizaines d’années, l’industrie du bois et du papier a
utilisé ses déchets de production pour générer de l’électricité et de la
chaleur. Cette utilisation des co-produits ne nécessite pas de
prélèvements additionnels de bois.
Cependant, ces dernières années s’est développé un mouvement
consistant à abattre des arbres ou à mobiliser de larges fractions de
récoltes de bois pour produire de l’énergie, ayant pour effet de libérer
le carbone qui serait resté piégé dans les forêts sans cela.
Le résultat de ce prélèvement additionnel induit une augmentation
importante des émissions de carbone, et occasionne une « dette
carbone », qui s’accroit au cours du temps à mesure que plus d’arbres
sont récoltés et utilisés à des fins énergétiques.
La plantation d’arbres et les alternatives aux énergies fossiles,
pourraient, au final, aboutir au remboursement de cette « dette
carbone », mais la croissance des arbres prend du temps, un temps dont
le monde ne dispose pas pour résoudre la crise climatique.
Comme l’ont montré de nombreuses études, cette combustion de bois va
augmenter le réchauffement pendant des dizaines d’années voire des
siècles. Ceci reste valable quel que soit le combustible fossile, que le
bois remplace du charbon, du pétrole ou du gaz naturel.
Les forêts stockent du carbone, à peu près la moitié de bois sec est
constitué de carbone (en masse). Quand le bois est récolté et brulé, une
grosse partie de ce qui est récolté – souvent plus que la moitié – est
perdue avant même que celle-ci ne produise de l’énergie utilisable,
augmentant la quantité de carbone dans l’atmosphère sans même participer
au remplacement de combustibles fossiles.
La combustion du bois est aussi moins énergétique, émet plus de
carbone et de fumées que ses alternatives fossiles. Pour chaque kWh de
chaleur ou d’électricité produite, on estime que le bois est susceptible
de multiplier par deux ou trois la quantité de carbone qu’émettrait un
kWh de combustible ordinaire.
Toute intensification du réchauffement global dans les prochaines décennies est préjudiciable et dangereuse.
Cette intensification entrainerait plus de dommages à court et long terme :
- à court terme plus de feux de forêts, une augmentation du niveau de la mer, plus d’épisodes de canicules ;
- à
long terme : une fonte plus rapide des glaciers et du pergélisol, plus
de chaleur emmagasinée et plus d’acidification des océans.
Il n’est pas possible de supprimer ces problèmes quand bien même nous
cesserions toutes émissions dès aujourd’hui, mais il est possible de ne
pas les empirer.
Les incitations financières des gouvernements à brûler de la biomasse
forestière aboutissent à l’aggravation de la crise climatique : cette
mauvaise solution vient se substituer à une captation réelle du carbone
par les forêts. En effet, les industries passent des énergies fossiles
au bois énergie au lieu de s’orienter vers le solaire ou l’éolien. Ceci a
pour effet d’intensifier le réchauffement au lieu de le réduire
véritablement.
Dans certains endroits, comme au japon ou en Guyane Française,
certaines propositions visent non seulement à brûler du bois pour
produire de l’électricité mais aussi de l’huile de palme ou de soja.
Recourir à ces carburants suppose une extension de la culture de
palmiers et de celle du soja qui aboutira inexorablement à de la
déforestation de forêts tropicales denses libérant leur stock important
de carbone et annihilant leur capacité même à le stocker; ce qui
contribuera en définitive à l’augmenter la teneur en CO2 de l’atmosphère.
Aucun référentiel de « gestion durable » de forêts ou de production d’huiles végétales ne peut invalider ce résultat.
Une gestion durable correspond à un prélèvement de bois compensé à
terme par la croissance de l’arbre, elle ne correspond pas à altérer sa
capacité de stockage et à augmenter le réchauffement pendant des
décennies voire des siècles. De façon similaire, chaque accroissement de
la demande en huile concoure à augmenter la déforestation déjà
accentuée par l’augmentation de la demande alimentaire.
Rendre les pays responsables des émissions provenant du changement
d’utilisation des sols, quoique souhaitable, ne peut à lui seul corriger
les écueils des réglementations nationales qui attribuent au bois
énergie une neutralité carbone. Cette responsabilité ne va pas modifier
les incitations financières nationales qui encouragent la création de
centrales biomasse.
A titre d’illustration et sur le même principe, le fait que les pays
soient responsables des émissions liées à l’utilisation de diesel ne
corrigerait pas une réglementation qui inciterait les camions à utiliser
plus de diesel sous prétexte que le diesel serait neutre en carbone.
Les traités qui attribuent les responsabilités climatiques à chaque
pays tout comme les lois énergétiques décrétées au niveau national et
qui les déclinent doivent de façon précise comprendre les effets
climatiques des activités que ces textes encouragent.
Les décisions que vous allez prendre revêtent une importance cruciale
sur le devenir des forêts, en effet si 2 % de l’énergie mondiale devait
provenir du bois, cela entraînerait un doublement des prélèvements
forestiers.
Il existe des éléments probants en Europe reliant l’accroissement du
recours aux bioénergies à une augmentation importante des prélèvements
forestiers européens.
Cette approche crée un modèle qui incite les pays tropicaux à faire
de même – comme plusieurs pays se sont déjà engagés à le faire – ce qui
ruine par ailleurs les objectifs des autres conventions sur les forêts.
Pour éviter cette catastrophe, les gouvernements doivent supprimer
toute incitation qui encouragerait le bois énergie, que celui-ci soit
issu ou non de leurs propres ressources forestières.
L’Union Européenne doit arrêter de considérer la combustion de la
biomasse comme neutre en carbone dans ses textes et référentiels sur les
énergies renouvelables et dans son système d’échanges de quotas
d’émission (ETS).
Le Japon doit arrêter de financer les centrales électriques au bois.
Les États-Unis dont la nouvelle administration est en train
d’élaborer les réglementations et les incitations visant à lutter contre
le réchauffement climatique, doivent éviter de considérer la biomasse
comme neutre ou sobre en carbone.
Les arbres ont infiniment plus de valeur vivants que morts que ce
soit pour le climat ou la biodiversité. Pour parvenir à l’objectif de
neutralité carbone, vos gouvernements devraient travailler à la
préservation et la restauration des forêts plutôt qu’à leur combustion.
Lettre originale et liste des signataires ici.