Par Maud Barret Bertelloni Philosophe
 
Pourquoi les Jeux Olympiques sont-ils devenus une 
force économique avant d’être un événement sportif ? Ancien athlète, le 
politiste Jules Boykoff montre que des processus d’accumulation du 
capital considérables se mettent en place dès lors qu’une ville organise
 des Jeux Olympiques de grande ampleur. Leur coût est systématiquement 
sous-évalué, l’espace public est militarisé, les équilibres sociaux 
déstabilisés, et les écosystèmes menacés. Pourquoi les villes 
continuent-elles alors de les organiser ?
 
 
À l’approche des Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de 2024, Paris se prépare à se vider de ses habitant.es pour accueillir le flux de touristes, journalistes et athlètes venu.es assister au premier méga-événement sportif de la planète. Le 29 novembre 2023, le Préfet de Police de Paris annonçait la mise en place de QR codes pour circuler dans les rues de la capitale et le Ministre des Transports incitait les Parisiennes à prendre des congés pour soulager les réseaux de transport franciliens au moment des Jeux. En Seine-Saint-Denis, département qui accueille la plupart des équipements construits pour l’occasion, les habitant.es vivent
 depuis plusieurs années dans les chantiers et dénoncent les 
réaménagements de leurs quartiers, au sujet desquels ils et elles n’ont 
pas été consulté.es.
Lorsque les JOP arrivent dans une ville, ils se 
manifestent par une pluralité de symptômes délétères : délogements et 
gentrification, construction de gigantesques infrastructures et 
bétonisation, renforcement de la surveillance dans l’espace public, 
exploitation et corruption. Paris ne fait pas exception. Documentés de 
manière éparse par la presse, ces éléments sont difficiles à relier sans
 comprendre le fonctionnement de la machine olympique. Depuis plus de 
quinze ans, le politiste américain Jules Boykoff élabore les clefs 
d’analyse de ce phénomène qui, par -delà l’aura de la compétition 
sportive, représente une aubaine pour l’accumulation du capital. Cet 
ancien athlète, devenu l’une des figures centrales du mouvement 
transnational d’opposition aux JO, décrit l’organisation du grand 
événement sportif et documente les mobilisations qui, de Rio à Tokyo à 
Los Angeles, tentent de s’opposer à sa tenue.
L’histoire des Jeux, loin de l’image de concorde et de paix avancée par ses organisateurs, est une histoire conflictuelle. Dans Power Games (Verso, 2016), Boykoff élabore une première histoire politique des Jeux Olympiques,
 de leur fondation par Pierre de Coubertin à la Guerre Froide, à leur 
commercialisation pendant les années Reagan, moment où se mettent en 
place les Jeux tels que nous les connaissons aujourd’hui. Dans un ouvrage plus théorique, Celebration Capitalism (Routledge, 2013), il approfondit la lecture politique du phénomène, en développant le pendant du célèbre concept de « capitalisme de la catastrophe » de Naomi Klein.
 Dans le cas des JO, la liesse de la fête et l’urgence de ses 
préparatifs deviennent le moyen de justifier l’appropriation du bien 
public par des intérêts privés, faisant fi des procédures démocratiques 
et des règles du droit ordinaire. Face à cette dynamique, les 
résistances s’organisent dans chaque ville et des liens se tissent entre
 activistes internationaux. NOlympians: Inside the F ight Against Capitalist Mega-Sports in Los Angeles, Tokyo and Beyond (Fernwood Publishing, 2020) étudie ces mobilisations, leurs liens avec les mouvements sociaux, leurs stratégies et leurs tactiques dans la lutte inégale qu’elles mènent contre la machine olympique et ses défenseurs.
Son dernier livre, What are the Olympics for ? (Bristol
 University Press, à paraitre en 2024) revient de manière synthétique 
sur l’histoire politique des Jeux, leurs conséquences anti-démocratiques
 et les manières de s’y opposer. Une lecture précieuse pour outiller la 
compréhension et la critique du phénomène olympique, alors que la 
pré-sélection de la candidature des Alpes du Sud pour les JO d’hiver de 
2030 menace de reproduire à la montagne ce que l’on a déjà subi à Paris. MBB
Lorsque les Jeux Olympiques et 
Paralympiques investissent une vill e, ils se manifestent par une 
pluralité de symptômes épars. De l’annonce de l’attribution de la 
candidature en 2017 à aujourd’hui, les francilien.nes ont assisté à de nombreux délogements (Squat Unibéton, foyer de travailleur.es migrant.es ADEF),
 à la construction de gigantesques équipements sportifs (Centre 
Aquatique Olympique, Village des Athlètes) et se préparent à 
l’expérimentation de la vidéosurveillance automatisée (VSA) dans 
l’espace public, supposée sécuriser les Jeux. Dans votre travail, pour 
lequel vous avez suivi les JOP d’édition en édition, de Londres à Rio à 
Tokyo, vous esquissez les contours d’un modèle olympique, qui se 
reproduirait de ville en ville. Quelles en sont les caractéristiques ?
Les Jeux Olympiques se déplacent de ville en ville mais ils provoquent 
presque toujours les mêmes problèmes. J’ai commencé à étudier le 
militantisme anti-olympique en 2009, à Vancouver, au Canada. Un groupe 
de poètes d’avant-garde militants m’avait alerté sur les violations des 
libertés civiles et sur les lois d’exception qui étaient en train d’être
 passées. J’ai ensuite vécu à Londres pendant les jeux pour suivre les 
mobilisations. J’ai aussi vécu à Rio de Janeiro, puis à Tokyo en 2019. 
Chaque ville présente des problématiques légèrement différentes, en 
fonction de ses dynamiques propres, mais il y a des régularités qui sont
 propres au phénomène olympique – ce que les économistes appelleraient 
les « externalités négatives » des Jeux. La première concerne le coût 
des JO. Les organisateurs sous-estiment systématiquement les dépenses 
au moment de la candidature, et elles sont invariablement dépassées. Une
 étude de l’Université de Oxford a très bien analysé le phénomène : depuis 1960, le coût des jeux a augmenté vertigineusement et a systématiquement été dépassé.
 Ces dépenses se paient en argent public. Le contribuable français, peu 
importe qu’il puisse ou non se permettre d’assister aux épreuves, 
contribue au finance ment des Jeux Olympiques.
Le deuxième aspect récurrent concerne la 
militarisation de l’espace public et le déploiement de nouvelles 
technologies censées protéger le spectacle olympique. Les Jeux 
fournissent une occasion d’expérimenter de nouvelles technologies qui 
seront par la suite adoptées et intégrées dans les dispositifs de 
maintien de l’ordre. En 2020 à Tokyo, les organisateurs voulaient 
déployer la reconnaissance faciale dans tous les lieux olympiques, même 
si cela a été reporté en raison du COVID. Or, c’est un fait établi que la reconnaissance faciale est susceptible de perpétuer des biais racistes,
 en raison de son taux d’erreur très élevé sur les visages racisés, et 
qu’elle pose un vrai problème du point de vue des libertés publiques. 
Les jeux de 2024 à Paris seront l’occasion d’expérimenter la VSA, qui 
devrait pouvoir être employée jusqu’en 2025. Il est probable, vu ce qui 
s’est passé lors des précédentes éditions, qu’elle soit ensuite 
banalisée et intégrée au dispositif ordinaire de maintien de l’ordre. 
[Confirmant cette hypothèse, la Ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra
 a annoncé en septembre 2023 vouloir prolonger l’expérimentation de la vidéosurveillance automatisée par-delà les JO 2024. n.d.r.]
Le troisième élément que décrivent les chercheurs 
qui travaillent sur le mouvement olympique concerne les délogements et 
la gentrification. De manière un peu grossière, on pourrait dire que les
 délogements et les expulsions adviennent plutôt dans les pays du Sud, 
alors que l’on observe plutôt dans les pays du Nord un mouvement de 
gentrification accélérée. En réalité, les deux phénomènes se croisent. À
 Londres, en 2012, autour de 1000 personnes ont été délogées pour 
accueillir les Jeux Olympiques. Lorsque j’ai habité à Rio de Janeiro, 
j’ai travaillé avec beaucoup de personnes déplacées – on recense autour 
de 77,000 personnes qui ont dû quitter leur maison. Le plus souvent, ces
 délogements sont l’occasion de remplacer des logements sociaux par des 
logements au prix du marché. À Tokyo, j’avais interviewé pour The Nation deux femmes qui avaient été délogées au moment des Jeux Olympiques de 1964, puis à nouveau en 2019.
 Elles m’avaient demandé à être anonymisées, parce qu’elles craignaient 
les répercussions négatives qu’elles pourraient encourir en raison de la
 popularité des JO.
Une quatrième tendance est celle du greenwashing.
 Les organisateurs promettent toujours une grande amélioration 
environnementale, mais les résultats sont systématiquement décevants. A 
Rio, tout le monde é ;tait enthousiaste à l’idée de nettoyer les eaux de
 la baie de Guanabara, très polluée. Les organisateurs avaient promis que 80% de l’eau qui s’y déverse serait filtrée, ce qui n’est pas advenu :
 au moment des Jeux, c’était moins de 30%. On pourrait aussi parler de 
la moindre rémunération et du peu de considération dont souffrent les 
athlètes, de la corruption et du déni de démocratie, qui sont 
malheureusement les conséquences systémiques de l&# 
8217;organisation des Jeux. De nombreuses personnes considèrent 
simplement que les JO sont un événement divertissant et que ces 
conséquences sont indissociables de l’événement. C’est seulement quand 
les Jeux arrivent dans leur ville qu’ils commencent à prendre conscience
 de ses effets.
Derrière ces mêmes conséquences, vous 
identifiez une même cause : la « machine olympique », chapeautée par le 
Comité International Olympique (CIO). Face à ces effets et face aux 
critiques qui émergent invariablement, comment cette machine se 
maintient-elle ?
Pour comprendre la machine Olympique, il faut d’abord comprendre la 
manière dont le Comité International Olympique en régit le 
fonctionnement, aux côtés des sponsors qui participent au financement et
 des entreprises de l’audiovisuel qui diffuse nt le spectacle. Le CIO 
est au cœur du mouvement olympique : il prend les décisions financières,
 rédige les contrats avec la ville-hôte [la ville qui accueille les JO, n.d.r.].
 Tout est organisé à son avantage : depuis le tout début du mouvement 
olympique, le CIO décharge les coûts économiques et les « coûts sociaux »
 de l’événement sur la ville qui héberge les jeux. Le modèle a 
évidemment subi des transformations depuis la première édition des JO en
 1896. Ce n’est qu’autour de 1980 qu’ont été introduits les sponsors des
 JO, qui sont des entreprises multinationales [AirBnb, Coca Cola, 
Alibaba, Allianz, Omega, Samsung, P&G, Toyota, etc.] regroupées dans
 ce qui s’appelle le « Programme Olympique ». Outre le CIO et les 
sponsors, le troisième élément nécessaire pour comprendre le 
fonctionnement de la machine olympique est le rôle du secteur de 
l’audiovisuel. Les sponsors et l’audiovisuel composent à eux seuls pour 
90% des revenus du CIO, auxquels s’ajoutent les revenus de billetterie. 
Cela permet de comprendre beaucoup de choses. Pourquoi les JO d’été 
ont-ils lieu en juillet et en août, qui sont des mois terriblement 
chauds et peu recommandés pour la compétition sportive en extérieur ? 
Très simplement parce que le Comité Olympique International perçoit des 
redevances audiovisuelles de NBC et que NBC veut diffuser les Jeux 
Olympiques l’été, avant la reprise de la saison de football américain. 
Évidemment, chaque édition des Jeux olympiques est légèrement 
différente : le comité d’organisation des Jeux a une implantation 
nationale, qui reflète alors les intérêts et les conflits propres à un e
 élite locale. Par exemple, en France, la question de la sécurité ou les
 crispations autour du port du voile des athlètes peuvent émerger avec 
une intensité particulière. Mais la machine est la même et les problèmes
 fondamentaux se reproduisent invariablement de ville en ville.
Au vu de l’importance des sponsors et des 
contrats audiovisuels, on aurait presque l’impression que l’athlétisme 
est une dimension mineure des Jeux Olympiques. Quelle est la place du 
sport au sein de la machine olympique ?
De nombreux chercheurs soutiennent que les Jeux Olympiques sont devenus 
une force économique avant même d’être un événement sportif. 
L’athlétisme, la compétition sont devenus accessoires comme l’effort 
l’organisation tourne autour de l’accumulation de profit – le sport est 
devenu presque secondaire.
Dans ce cadre, pourquoi les villes continuent-elles de candidater pour accueillir les Jeux ?
Il y a dans chaque métropole suffisamment d’intérêts politiques et 
économiques qui savent qu’ils vont bénéficier des Jeux et qui se 
mobilisent en soutien de la candidature. Depuis que je m’intéresse à 
l’histoire des JO, je n’ai jamais vu de candidature populaire ni de 
mouvements locaux qui réclameraient d’accueillir les Jeux Olympiques. Ce
 sont toujours des acteurs puissants, avec des liens avec les secteurs 
du BTP, de l’immobilier et de la sécurité privée. Les Jeux génèrent un 
afflux de capital important, mais tout cet argent s’envole 
invariablement vers le haut, vers ceux qui en possèdent déjà beaucoup. 
J’appelle ça l’économie du ruissellement inversé : l’argent se concentre
 dans les poches de ceux qui en possèdent déjà beaucoup. C’est pour 
cette raison que les villes continuent de candidater. Les organisateurs 
présentent les Jeux comme une opportunité économique pour les 
entreprises locales, mais la réalité est moins reluisante. Les 
conditions de la tenue des Jeux, telles que les prévoit le contrat 
olympique, ne sont pas en faveur des PME de chaque ville. Elles sont 
conçus en faveur des grandes entreprises multinationales et la 
conséquence est qu’une large partie des financements mobilisés s’évapore
 dans les circuits internationaux et n’est jamais investi localement, 
contrairement à la promesse de ses organisateurs. On pourrait dire que 
les JO sont conçus à l’avantage des 10% des personnes les plus riches à 
l’échelle globale.
Si les JO sont un phénomène international,
 ils ont aussi une localité;. À chaque édition, les JO s’incarnent 
dans une ville, avec le tissu urbain qui lui est propre. À Paris, 
l’aménagement urbain pour 2024, concentré dans le département populaire 
de Seine-Saint-Denis, s’intègre dans la dynamique de métropolisation du 
Grand Paris. Comment les Jeux transforment-ils la ville dans laquelle 
ils se déroulent ? Et comment les villes transforment-elles à leur tour 
les Jeux ?
La transformation advient effectivement dans les deux sens, même si je 
me concentre davantage dans mon travail sur le phénomène olympique 
international que sur les dynamiques urbaines singulières. On
 considère généralement les Jeux de 1992 à Barcelone comme l’une des 
éditions les moins destructrices pour la ville. Certes, le quartier de 
Poblenou a été gentrifié, mais c’était au moment de la fin du franquism 
e, de l’intégration de l’Espagne à l’Union Européenne et du 
développement du tourisme. Il s’agit d’ailleurs de l’une des rares 
éditions où les financements privés ont couvert plus d’un tiers des 
dépenses, pour deux tiers de dépense publique, ce qui est très rare. On 
considère généralement Barcelone comme un « modèle », mais il faut une 
ville très particulière pour que les Jeux Olympiques fonctionnent d’une 
manière aussi vertueuse. Les villes soutiennent aujourd’hui souvent
 qu’elles candidatent pour « apparaitre sur la carte ». L’argument est 
curieux : tout le monde connait Los Angeles, Paris ou Rio, pas besoin 
d’efforts pour figurer parmi les métropoles globales. Mais dans le cas 
de l’Arabie Saoudite ou de l’Inde, qui s’intéressent de plus en plus aux
 Jeux Olympiques, c’est une manière d’apparaitre sur la scène de la 
compétition sportive. L’Arabie Saoudite – entre tous lieux – accueillera les Jeux d’hiver asiatiques de 2029 et
 l’Inde est en pourparlers avec le CIO, qui a promis à Modi une édition 
des Jeux Olympiques. Cela est tout aussi intéressant pour le CIO que 
pour les politiques locaux. Ce qui importe, du point de vue de 
l’évolution des Jeux, c’est qu’entre 2013 et 2018, une douzaine de 
villes ont retiré leur candidature, à la suite de référendums (Hambourg 
et Munich, Davos, etc.) ou d’une intense pression politique (Rome, 
Budapest, Cracovie, Stockholm, Boston, etc.). La menace d’un référendum 
est parfois suffisante pour occasionner un retrait. Dans d’autres cas, 
des politiciens sont élus avec le mandat explicite de s’opposer au JO, 
comme c’est le cas de Virginia Raggi à Rome. C’est d’ailleurs pour ça 
que Beijing a remporté la mise pour 2022 : la seule autre candidature 
provenait de Almaty, Kazakhstan, mais le CIO ne faisait pas confiance au
 comité; organisateur. C’est impressionnant de voir à quel 
point, entre 2009 et aujourd’hui,
 le grand public est beaucoup mieux informé des conséquences des JO. En 
réaction, le CIO a simplement changé la procédure de sélection des 
villes-hôte. Il n’a pas essayé de prendre en compte les nombreuses 
critiques adressées aux JO que j’ai pu évoquer ici : il a tout 
simplement commencé à attribuer les Jeux avec onze ans d’avance, comme 
pour Los Angeles 2028, avant qu’il puisse y avoir un vote démocratique 
au sujet de leur accueil et avant que les mobilisations puissent 
émerger.
Un sondage paru le 13 novembre 2023 relevait que 44% des Franciliens – le double par rapport à 2022 – considèrent qu’accueillir l es Jeux Olympiques est une « mauvaise chose ».
 Mais si l’on s’intéresse à la France, 65% des sondés demeurent 
favorables. Qu’est-ce qui maintient, par-delà les intérêts économiques 
qui soutiennent la candidature, la très grande popularité des Jeux 
Olympiques ?
L’athlétisme et les athlètes jouent un rôle très important dans 
l’imaginaire des JO. Tout simplement, ce sont les meilleurs athlètes du 
monde et ils sont incroyablement inspirants. Tout le paradoxe tient au 
fait que si la machine se maintient grâce à l’aura des athlètes, ces 
derniers sont généralement assez peu rémunérés. Une étude universitaire 
Canadienne, réalisée avec la Global Athletes Coalition, un syndicat 
d’athlètes transnational, a documenté les écarts de revenus entre les athlètes olympiques et ceux issus d’autres Ligues comme
 la National Basketball Association, la National Hockey League aux 
États-Unis ou la Premier League de football au Royaume Uni. Dans ces 
ligues, entre 45% et 60% des revenus sont perçus par les sportifs, 
contre 4,1% pour les Jeux Olympiques. Pendant ce temps, les membres du 
CIO sont rémunérés entre $450 et $900 par jour pour assister aux 
compétitions, ce qui signifie qu’ils gagnent plus d’argent qu’un athlète
 qui gagnerait la médaille d’or. L’autre élément important 
concerne le rôle des médias, qui couvrent les JO sans jamais prendre à 
contrepied la narration officielle. Mais lorsque les JO se rapprochent, 
il devient de plus en plus difficile de ne pas voir leur impact sur la 
ville-hôte et sur la région qui l’entoure. Les JO sont terriblement 
populaires, tant qu’ils n’adviennent que très loin. Les habitantes des 
villes olympiques réalisent soudainement toutes leurs conséquences, 
comme on les voit aujourd’hui à Paris.
Le mouvement olympique s’appuie depuis longtemps 
sur un imaginaire Grec de l’olympisme, celui de la trêve Olympique qui 
permettait aux athlètes de circuler librement pour participer aux Jeux 
anciens. Il y a une trentaine d’années, le CIO a relancé cette tradition, avec l’instauration aux Nations Unies d’une trêve olympique. En novembre 2023,
 les pays membres ont voté la trêve Olympique pour les JO de Paris. Il 
s’agit là évidemment d’un geste purement symbolique. Dans le contexte 
géopolitique actuel, cela vire vite à la farce. En 2014, la Russie a 
envahi la Crimée pendant la trêve olympique des Jeux qu’elle organisait à
 Sotchi et le CIO n’a pas pipé mot. Elle a envahi l’Ukraine au moment 
des JO de Pékin en 2022. Les documents officiels du CIO, tels que la 
Charte Olympique, ont toujours des choses merveilleuses à dire sur les 
sports et la paix, sur les droits de l’homme, mais ils les font 
respecter de manière terriblement sélective.
Vous élaborez dans Celebration Capitalism (Routledge, 2014) le pendant au célèbre concept de Naomi Klein, le « disaster capitalism »,
 que vous déclinez dans le contexte festif d’un grand événement sportif.
 En France, la préparation pour le JO de 2024 a été l’occasion de 
plusieurs exceptions au droit ordinaire : la mise en place de 
l’expérimentation de la VSA, mais aussi toute une
 série de dérogations au droit ordinaire en matière d’urbanisme, de 
publicité et d’environnement prévues par la Loi Olympique de 2018. En quoi ce concept consiste-t-il et comment se met-il en place à l’occasion des JO ?
L’un des éléments principaux de ce que j’appelle « celebration capitalism » [le capitalisme des Fêtes, n.d.r.]
 est l’état d’exception et de suspension du fonctionnement ordinaire du 
politique. Cela permet au gouvernement et aux entreprises de mettre en 
place des projets et des partenariats publics-privés qu’il serait 
difficile de justifier en temps normal. Le terme de « celebration 
capitalism » désigne la dimension intrinsèquement anti-démocratique et 
autoritaire des projets politiques soutenus par les grands événements 
sportifs. À Los Angeles, ville qui accueillera les jeux de 2028, on 
discute déjà du besoin accru d’effectifs de police pour sécuriser les 
Jeux, ce qui n’est in fine qu’une 
manière d’accroitre le pouvoir policier. Il y a une nomenclature aux USA
 pour désigner les évènements sportifs à haut risque : les « National 
Special Security Events » (NESS) [les Événements Nationaux à Sécurité 
Spéciale n.d.r.]. Les NESS rassemblent 16 agences 
de renseignement à l’occasion d’un événement comme les JO ou le Super 
Bowl [le championnat de football américain, n.d.r.] et cela permet à des agences de police comme la Immigration and Customs Enforcement Agency [l’agence de contrôle aux frontières états-unienne, connue pour sa traque des migrant.es sans papier, n.d.r.] de débarquer dans la ville de LA.
Derrière les scènes, les acteurs puissants qui 
soutiennent la machine olympique profitent de l’occasion pour élargir 
leurs marchés ou renforcer leur emprise sur le territoire. Cela 
complique ultérieurement les résistances locales aux Jeux Olympiques, 
parce que l’exception est précisément une manière de contourner les 
règles ordinaires de la participation démocratique. La machine 
orchestrée par le CIO est fondamentalement anti-démocratique. À chaque 
édition, le CIO signe un contrat avec la ville-hôte, qui confère à ce 
premier « l’autorité suprême » sur les Jeux. À Tokyo, en 2021, la très 
grande majorité de la population japonaise – 83% selon un sondage de Kyodo News –
 était favorable à l’annulation des Jeux en plein milieu de l’épidémie 
de COVID. Le Premier Ministre, Yoshihide Suga, a dû admettre 
publiquement que seul le CIO avait le pouvoir d’annuler les Jeux, et non
 le représentant démocratiquement élu d’un pays. S’il les avait annulés 
contre la volonté du CIO, il se serait trouvé avec une énorme bataille 
judiciaire sur les bras. Le CIO ne voulait pour aucune raison créer un 
précédent d’annulation des JO, peu importe les circonstances. Le CIO 
n’est cependant responsable devant personne. On pourrait imaginer que 
les Nations Unies sanctionneraient leur fonctionnement, mais elles 
restent passives et continuent de passer ces résolution s de trêve 
olympique en toc tous les deux ans. On aurait pu espérer que 
l’Organisation Mondiale de la Santé serait intervenue au moment de la 
tenue des Jeux pendant une épidémie de COVID avec une population 
sous-vaccinée, mais elle non plus n’a pas réagi. On aurait pu imaginer 
que les sponsors seraient préoccupés, mais ils continuent de participer à
 la fête sans broncher. Il n’y a simplement aucun mécanisme pour limiter
 l’action du CIO, malgré tous leurs documents et les déclarations de 
leur président sur l’importance et le pouvoir de la démocratie.
Le phénomène olympique suscite aussi d’importantes résistances, que vous documentez depuis de nombreuses années. Dans NOlympians, Inside the Fight against Capitalist-Mega Sports (Fernwood, 2020), vous décrivez les collectifs mobilisés à Londres, Rio, Tokyo et à Los Angeles,
 leurs imbrications avec les mouvements sociaux et leurs répertoires 
d’action. Qui se mobilise contre les Jeux et pour quelles raisons ?
Je dirais qu’il y a quatre types d’activistes réunis autour des Jeux 
Olympiques. Le premier groupe est celui des activistes anti-olympiques, 
qui s’opposent aux jeux eux-mêmes. C’est par exemple le cas du collectif Saccage 2024 à Paris.
 À Los Angeles, c’est NOlympics LA ; au Japon c’était le groupe Hangorin
 no Kai ; à l’échelle transnationale, c’est le mouvement « No Olympics 
Anywhere ». Un deuxième groupe est constitué de militantes et militants présent.es dans
 une ville olympique, qui se consacrent à une cause précise comme la 
surveillance, le droit au logement et le sans-abrisme, la militarisation
 de la police, etc. La plupart de ces personnes ne s’intéresse pas 
spécifiquement aux Jeux Olympiques, mais se trouve soudainement 
confrontée à tous les problèmes du modèle olympique à l’approche des 
Jeux. Elles rejoignent parfois les membres du premier groupe, en se 
greffant aux mobilisations anti-JO. Le troisième groupe, ce sont les 
syndicalistes et militant.es qui
 réalisent que les JO fournissent une opportunité stratégique dans leurs
 champs de bataille respectifs. C’est par exemple le cas des syndicats 
et des collectifs de sans-papier en France qui s’appuient sur les JO 
pour renforcer leurs mobilisations. [Les collectifs sans-papier et la 
CNT-SO ont organisé au mois de novembre une
 grève couplée de l’occupation du chantier de l’Adidas Arena et obtenu 
la signature d’ ;accords-cadre qui actent la régularisation des 
travailleurs sur les chantiers olympiques. n.d.r.] Tout
 au long de l’histoire des Jeux, on trouve de nombreuses histoires 
d’athlètes et de personnes ordinaires qui ont pris appui sur la 
popularité des Jeux Olympiques pour mettre en avant leurs causes. Les 
suffragettes avaient menacé de perturber les Jeux pour obtenir le droit 
de vote et avaient saccagé les terrains de golf. À Los Angeles, en 1932,
 au pic de la Grande Dépression, il y a eu d’importantes manifestations 
de personnes indignées par les dépenses extravagantes des Jeux, alors 
même que la population peinait à se nourrir. Leur slogan était « 
Groceries not Games » [De la nourriture plutôt que des Jeux]. La 
difficulté avec ce type de mobilisations opportunistes, c’est qu’il 
s’agit de personnes qui s’ impliquent au moment des JO mais qui 
retournent à leurs luttes habituelles à peine les jeux finis. Un 
quatrième et dernier groupe est celui composé par les athlètes. On peut 
penser en France du footballeur Vikash Dhorasoo, qui s’était prononcé à la télé avec l’élue insoumise Danielle Simonnet en faveur de l’annulation des Jeux Olympiques de 2024.
 Au moment des JO de Tokyo, alors que le CIO répétait q ue tout serait 
sûr à 100%, qu’ils mettraient en place une « bulle olympique », il a 
envoyé à tous les athlètes un document de renonciation qu’ils devaient 
obligatoirement signer pour participer aux Jeux. Le document disait que s’ils mouraient de COVID-19, ils ne pourraient pas poursuivre en justice le CIO ou le comité olympique japonais.
 Un athlète, lorsqu’il a reçu ce document qui disait d’une part qu’il 
ser ait en sécurité et de l’autre qu’il ne pourrait rien faire s’il 
mourait, a pris la décision de faire fuiter le document, que j’ai 
transmis à une télé japonaise.
Ces groupes ont-ils évolué dans leur composition ou dans leur manière de se mobiliser ?
On observe depuis le début du XXIe siècle une montée en intensité des 
protestations contre les Jeux Olympiques, qui demeuraient jusqu’alors 
plutôt sporadiques et très localisées. Internet et les réseaux sociaux 
ont beaucoup aidé les militantes anti-olympiques à créer une forme de 
solidarité de classe, classe transnationale si l’on veut, si l’on oppose
 schématiquement ceux qui profitent et ceux qui subissent les Jeux. Cela
 a permis à un vrai mouvement d’activisme transnational d’émerger. En 
2012 à Londres, Julian Cheyne, un militant britannique qui avait été 
délogé par les Jeux, avait commencé à rassembler une coalition 
importante autour du Counter-Olympics Network et du Games Monitor :
 il y avait des personnes de Corée du Sud, de Rio et j’y avais 
participé. Mais on peut véritablement parler d’une mobilisation 
transnationale depuis le premier sommet anti-olympique international à 
Tokyo en 2019. Cette coalition permet de suivre à la trace la bête 
transnationale que sont les Jeux Olympiques, lorsqu̵ 7;ils se déplacent 
de ville en ville. La difficulté est que ce genre de militantisme est 
très couteux et que la plupart des collectifs mobilisés ont très peu de 
ressources. La plupart des personnes qui se mobilisent le font sur leur 
temps libre et avec très peu de moyens, alors qu’elles font face à une 
armée de travailleurs grassement rémunérés. L’objectif général des 
mobilisations transnationales est résumé par le slogan « No Olympics 
Anywhere ». L’autre objectif consiste à soutenir les mobilisations en 
vue de stopper les Jeux Olympiques dans les différents endroits qui 
pourraient les accueillir. Les mobilisations les plus efficaces sont 
toujours celles qui adviennent avant l’attribution des Jeux. Le plus tôt
 les activistes se mobilisent pour éviter l’attribution, le mieux. Il y a
 eu un seul cas dans l’histoire d’annulation des JOP,   4; Denver en 
1976. Il y a une telle inégalité de ressources entre les organisateurs 
olympiques et les militantes, qu’une fois la candidature actée, le CIO a
 inévitablement l’ascendant. Et il commence à avoir l’habitude de ces 
oppositions et a mis en place des stratégies pour les neutraliser.
En ce qui concerne les mobilisations 
anti-JO franciliennes, il me semble que l’une des difficultés en ce 
moment, par-delà les petits effectifs militants, relève du contexte de 
répression des mouvements sociaux. La répression des manifestations, 
couplée à la surveillance accrue des activistes et au regain de la 
menace terroriste, fait que les différents collectifs mobilisés ont 
restreint leur répertoire d’action à la sensibilisation, à la 
contre-expertise et à quelques petites manifestations. Ils savent qu’il 
ne sera pas possible de mener d’actions pendant la tenue des Jeux.
La suppression des oppositions s’intègre très bien au discours de 
protection des Jeux Olympiques, qui tend à assimiler la menace activiste
 à une menace terroriste. Dans le document de candidature de la ville de
 Rio se trouvait une section intitulée « Menaces activistes/terroristes 
». L’opposition aux JO et la menace terroriste s’y trouvaient 
superposées, comme si elles constituaient un seul et même objet. Sans 
atteindre ces proportions, on dirait bien que la France applique de fait
 un traitement similaire, ce qui est très préoccupant. A Paris, sauf 
catastrophe naturelle, les Jeux auront certainement lieu comme prévu, 
mais il est intéressant de placer les mobilisations actuelles dans un 
horizon temporel élargi, après l’annonce de la pré-sélection de la candidature des Alpes pour les JO d’hiver de 2030.
 Toutes les personnes qui tiennent à la montagne et souhaitent la 
préserver de l’impact des Jeux ont intérêt à rejoindre les mobilisations
 autour de Paris : le CIO est extrêmement sensible à la contestation 
pendant la période de préparation des candidatures. L’autre élément à 
garder à l’esprit est que pendant les JO, le monde entier sera en train 
de regarder ce qu’il se passe à Paris. Les actions des collectifs d e 
sans-papiers et des syndicats sur les chantiers de JO ont déjà attiré 
beaucoup d’attention à l’international, dans la presse anglophone. Dans 
les prochains mois, tout ce qu’il se passe autour des JO recevra 
inévitablement beaucoup d’attention médiatique et c’est un levier 
stratégique important.
Jules Boykoff, What are the Olympics for ?, Bristol University Press, à paraître en mars 2024
Maud Barret Bertelloni
Philosophe, Doctorante en philosophie des techniques