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vendredi 6 avril 2018

Plus rien de normal dans la forêt de Mormal


par Bernard Boisson
 La forêt domaniale de Mormal, dans le Nord, devrait commémorer en 2019 le centenaire de sa renaissance, après la perte des deux tiers de ses boisements lors de la Première Guerre mondiale.
es ? En effet, une intensification des coupes à blanc fait qu’à surface forestière égale, nous allons vers de moins en moins de forêt, n’en déplaise à ce que l’on fait dire aux chiffres.
En fait de commémoration, c’est un autre conflit qui a commencé à s’ouvrir depuis juin 2017, un conflit entre des riverains de la forêt de Mormal et l’ONF (Office national des forêts). Au point que l’Office est porté en justice par la société civile. L’association Mormal Forêt Agir est pionnière dans ce recours, avec pour motif principal une non-conformité concernant le plan d’aménagement signé par le ministre en 2015. En effet, ce document de gestion stipule sur 200 parcelles un prélèvement de 60 000 m3 par an quand ce qui est prélevé s’estime plutôt à 140 000 m3 ! Cela contrevient à l’article L213-5 du Code forestier : dans les bois et forêts de l’Etat, toutes coupes non prévues par un document d’aménagement approuvé doivent être autorisés par le ministre chargé des forêts sous peine de nullité de vente. Pour mettre en défaut les actions de l’ONF sur la forêt de Mormal en regard de cet article (constats d’huissier, contre-expertises, etc.), tout novice doit être averti que la procédure a aussi sa complexité et requiert la plus grande rigueur. Ainsi, l’authenticité d’une photographie présentant l’état d’origine d’un boisement a été invalidée n’étant pas certifiée conforme par un huissier.
Pour en arriver là, évidemment il faut pour des riverains avoir été suffisamment usés par la désillusion, avoir outrepassé la technicité des argumentaires chargés de dissuader tout citoyen malvenu dans son excès de curiosité, en lui faisant valoir le niveau d’investigations nécessaires pour invalider des arguments de professionnels. Quand bien même en un temps record il y parvienne, son interlocuteur passera maître dans la dialectique de l’anguille, si ce n’est à se reclure dans des dénis et des fins de non-recevoir.
L’étape suivante est le recours en justice, voire le référé. Benoit Tomsen, le président de Mormal Forêt Agir, ne croit plus au terrain technique des discussions pour aboutir. Seul subsiste le terrain juridique. Un tel passage à l’acte est aussi courageux qu’inédit. Il a des soutiens : l’appui du maire de Locquignol, dont la commune est boisée à 90 % pour une superficie déjà inaccoutumée en taille. S’ajoute aussi en soutien tout un réseau de citoyens avertis, SOS Forêt, et des professionnels déplorant eux-mêmes une évolution délétère de la gestion forestière. Ils viennent avec leurs connaissances. Tout le monde se nourrit du savoir des autres.
Pour toute contre-expertise juridique, reste à faire venir un ou des professionnel(s), travaillant essentiellement pour la forêt privée pour ne pas craindre ensuite toute exclusion contractuelle avec l’ONF. Ne pas oublier aussi tout un monde de bienséances convenues et assourdies entre des élus et l’ONF, acclimatés à l’enchevêtrement de leurs images et de leurs intérêts, et souvent enclins à exclure la voix trop dissonante de telle association ou de tel citoyen. On peut dans ce genre de contexte voir même apparaître à point nommé, une autre association, prêtant à l’opinion citoyenne un avis tout à fait moulé à ces bienséances… Mais la chape tiendra-t-elle toujours ?
Pour une forêt bénéficiant de classements en Natura 2000, les riverains avisés ont eu aussi à déplorer l’absence de réaction de la collectivité territoriale et du préfet suite aux dommages d’exploitation sur « les fossés collecteurs » causés par le passage des machines de débardage (« ruisseaux » dans le langage public). S’ajoute à cela, le non respect pour l’habitat du muscardin, animal classé sur la liste rouge des espèces menacées à l’échelon européen.
Il n’y a pas que l’arbre qui cache la forêt en France. La gestion quantitative des boisements semble de plus en plus masquer un déclin qualitatif. C’est une conclusion récurrente dans les signaux d’alerte.
Mais s’instaure un malaise plus lourd et plus profond. Il s’étend autrement plus loin que la forêt de Mormal. C’est celui qu’il faille dans notre société actuelle un bénévolat de contre-expertise supérieur au professionnalisme pour préserver l’environnement de tous les abus et de tous les manquements des gens payés pour être responsables.
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