Quinze intellectuels (économistes,
sociologues, historiens, écrivains...)
publient une tribune où ils
proposent rendre la fiscalité carbone
plus juste qu'elle ne l'est en taxant
les sites industriels les plus
polluants.
"L'annulation
des hausses de taxe sur les carburants
initialement prévues au 1er janvier
2019 n'est pas nécessairement une
mauvaise nouvelle pour l'écologie et
le climat. Injuste socialement et
d'une efficacité plus que discutable,
la taxe carbone appliquée aux seuls
carburants payés par les ménages et
les artisans a fait la démonstration
de son impopularité, risquant
d'emporter avec elle le désir partagé
d'une réponse urgente face à la crise
climatique. Cette annulation, qui va
générer un manque à gagner de 3,7
milliards d'euros dans le budget 2019,
porte pourtant en elle l'occasion d'un
sursaut écologique. À condition de
bousculer les intérêts des plus grands
pollueurs du pays plutôt que les fins
de mois des plus précaires.
L'ambition de la proposition que nous
faisons ici est modeste. Elle ne permet
de répondre ni aux revendications
portant sur l'amélioration des
conditions de vie, ni à la nécessaire
résorption des inégalités fiscales et
sociales actuellement au cœur de
l'actualité. Elle vise à essayer de
rendre la fiscalité carbone bien plus
juste qu'elle ne l'est, à travers un
élargissement de son assiette – sans
surcoût pour les ménages et artisans –
et une égalité de traitement quant au
taux qui est appliqué sur les
différentes sources d'émissions de
carbone.
L'exécutif et sa majorité parlementaire vont en effet devoir compenser cette perte de recettes, vraisemblablement en réduisant une fois de plus des dépenses publiques socialement ou écologiquement utiles. Une voie alternative pourrait être empruntée, permettant de sanctuariser le principe de la fiscalité carbone sans introduire de surcoût pour les ménages, les artisans et les petites entreprises : il s'agirait d'instaurer une taxe carbone complémentaire portant sur les émissions de gaz à effet de serre des 1.400 sites industriels français les plus polluants, pour que chaque tonne de carbone qu'ils relâchent dans l'atmosphère soit taxée au même niveau – 44,60 euros en 2018 et 2019 – que les carburants du quotidien.
Ces sites polluants profitent en effet d'une situation avantageuse. Soumis au marché carbone européen, ils bénéficient depuis de nombreuses années de l'octroi de quotas d'émission gratuits ou à un coût bien inférieur au prix de la taxe carbone que nous payons lorsque nous passons à la pompe. La multinationale Total, 19e plus gros émetteur de gaz à effet de serre au monde entre 1988 et 2015, a ainsi reçu gratuitement 71 % des quotas de pollution dont elle avait besoin en 2017 pour ses seules raffineries françaises. Le reste a été acheté à un prix variant entre 5 et 17 euros (octobre 2018), soit de trois à six fois moins que ce que paient les ménages.
Théoriquement, elle peut rapporter plus de 4,5 milliards d'euros
Alors que le principe du "pollueur payeur" s'applique aux ménages et aux artisans, les industries les plus polluantes, qui accumulent pour certaines d'entre elles des profits indécents, en sont exonérées. Cette inégalité de traitement n'a que trop duré : n'est-il pas temps d'élargir l'assiette de la taxe carbone aux plus grands pollueurs et de relever le taux qui leur est appliqué?
Une telle taxe complémentaire est possible. Elle a déjà été expérimentée par le Royaume-Uni, qui l'a appliquée aux centrales électriques afin d'inciter, avec succès, à l'abandon progressif du charbon. Théoriquement, elle peut rapporter plus de 4,5 milliards d'euros, soit le produit des 107 millions de tonnes de CO2 relâchées en 2017 par ces quelque 1.400 sites taxées à 44,60 euros la tonne.
Cette proposition va se voir rétorquer qu'elle conduirait des sites industriels à fermer ou à se délocaliser. Cette crainte est très largement exagérée pour de nombreux sites concernés, peu soumis au risque de "fuite carbone". Pour les autres, le rattrapage pourrait être progressif et s'accompagner de mesures fiscales visant à renchérir les productions venant de pays où la fiscalité carbone serait moins élevée.
Souhaitable sur le plan de la justice fiscale, cette proposition l'est également du point de vue de l'urgence climatique. Les émissions de ces 1.400 sites ont augmenté de 7,2% entre 2015 et 2017, illustrant l'inefficacité du marché carbone actuel : le prix payé par les industries les plus polluantes du pays ne les incite pas à réduire leurs émissions. Pas plus qu'il ne les incite à investir dans la transition, puisque les investissements climat des entreprises françaises stagnent depuis plusieurs années autour de 10 milliards d'euros et pourraient même baisser en 2018. Alors que ceux des ménages et des pouvoirs publics sont orientés à la hausse.
Au nom de la justice fiscale et de l'ambition écologique, nous proposons donc d'introduire cette mesure dans le projet de loi de finances 2019 qui va de nouveau être examiné par l'Assemblée nationale. La France s'équiperait ainsi d'un dispositif de fiscalité carbone bien plus juste et d'une bien plus grande ambition que l'existant."
Par Geneviève Azam (économiste), Valérie Boisvert (économiste), Christophe Bonneuil (historien), Maxime Combes (économiste, membre d'Attac), Thomas Coutrot (économiste), Cyril Dion (écrivain et réalisateur), Jean-Baptiste Fressoz (historien), Jean Gadrey (économiste), Gaël Giraud (économiste), Florence Jany-Catrice (économiste), Dominique Méda (sociologue), Dominique Plihon (économiste), Thomas Porcher (économiste), Hélène Tordjman (économiste), Aurélie Trouvé (économiste).
L'exécutif et sa majorité parlementaire vont en effet devoir compenser cette perte de recettes, vraisemblablement en réduisant une fois de plus des dépenses publiques socialement ou écologiquement utiles. Une voie alternative pourrait être empruntée, permettant de sanctuariser le principe de la fiscalité carbone sans introduire de surcoût pour les ménages, les artisans et les petites entreprises : il s'agirait d'instaurer une taxe carbone complémentaire portant sur les émissions de gaz à effet de serre des 1.400 sites industriels français les plus polluants, pour que chaque tonne de carbone qu'ils relâchent dans l'atmosphère soit taxée au même niveau – 44,60 euros en 2018 et 2019 – que les carburants du quotidien.
Ces sites polluants profitent en effet d'une situation avantageuse. Soumis au marché carbone européen, ils bénéficient depuis de nombreuses années de l'octroi de quotas d'émission gratuits ou à un coût bien inférieur au prix de la taxe carbone que nous payons lorsque nous passons à la pompe. La multinationale Total, 19e plus gros émetteur de gaz à effet de serre au monde entre 1988 et 2015, a ainsi reçu gratuitement 71 % des quotas de pollution dont elle avait besoin en 2017 pour ses seules raffineries françaises. Le reste a été acheté à un prix variant entre 5 et 17 euros (octobre 2018), soit de trois à six fois moins que ce que paient les ménages.
Théoriquement, elle peut rapporter plus de 4,5 milliards d'euros
Alors que le principe du "pollueur payeur" s'applique aux ménages et aux artisans, les industries les plus polluantes, qui accumulent pour certaines d'entre elles des profits indécents, en sont exonérées. Cette inégalité de traitement n'a que trop duré : n'est-il pas temps d'élargir l'assiette de la taxe carbone aux plus grands pollueurs et de relever le taux qui leur est appliqué?
Une telle taxe complémentaire est possible. Elle a déjà été expérimentée par le Royaume-Uni, qui l'a appliquée aux centrales électriques afin d'inciter, avec succès, à l'abandon progressif du charbon. Théoriquement, elle peut rapporter plus de 4,5 milliards d'euros, soit le produit des 107 millions de tonnes de CO2 relâchées en 2017 par ces quelque 1.400 sites taxées à 44,60 euros la tonne.
Cette proposition va se voir rétorquer qu'elle conduirait des sites industriels à fermer ou à se délocaliser. Cette crainte est très largement exagérée pour de nombreux sites concernés, peu soumis au risque de "fuite carbone". Pour les autres, le rattrapage pourrait être progressif et s'accompagner de mesures fiscales visant à renchérir les productions venant de pays où la fiscalité carbone serait moins élevée.
Souhaitable sur le plan de la justice fiscale, cette proposition l'est également du point de vue de l'urgence climatique. Les émissions de ces 1.400 sites ont augmenté de 7,2% entre 2015 et 2017, illustrant l'inefficacité du marché carbone actuel : le prix payé par les industries les plus polluantes du pays ne les incite pas à réduire leurs émissions. Pas plus qu'il ne les incite à investir dans la transition, puisque les investissements climat des entreprises françaises stagnent depuis plusieurs années autour de 10 milliards d'euros et pourraient même baisser en 2018. Alors que ceux des ménages et des pouvoirs publics sont orientés à la hausse.
Au nom de la justice fiscale et de l'ambition écologique, nous proposons donc d'introduire cette mesure dans le projet de loi de finances 2019 qui va de nouveau être examiné par l'Assemblée nationale. La France s'équiperait ainsi d'un dispositif de fiscalité carbone bien plus juste et d'une bien plus grande ambition que l'existant."
Par Geneviève Azam (économiste), Valérie Boisvert (économiste), Christophe Bonneuil (historien), Maxime Combes (économiste, membre d'Attac), Thomas Coutrot (économiste), Cyril Dion (écrivain et réalisateur), Jean-Baptiste Fressoz (historien), Jean Gadrey (économiste), Gaël Giraud (économiste), Florence Jany-Catrice (économiste), Dominique Méda (sociologue), Dominique Plihon (économiste), Thomas Porcher (économiste), Hélène Tordjman (économiste), Aurélie Trouvé (économiste).
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