Pays d'Aix - Centrale biomasse : une action collective contre l'Europe
Bernard Auric, ancien patron de la centrale, fait partie des six plaignants européens et américain à saisir la Cour de justice européenne contre le recours au bois de combustion
Par Carole Barletta
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Une
plainte vient d'être introduite auprès de la Cour de justice du
Luxembourg contre une directive européenne qui inclut la biomasse dans
les sources d'énergie renouvelable. En ligne
de mire, les centrales à bois. Les plaignants, portés par des
associations et ONG environnementales, sont six citoyens qui se battent
contre la déforestation et les nuisances engendrées par la biomasse. Il y
a Hasso Krull qui voit ses forêts estoniennes détruites
; Tony Lowes qui milite pour la fermeture des centrales électriques
alimentées à la tourbe en Irlande ; Raul Cazan, en Roumanie, alerte du
saccage des dernières forêts vierges des Carpates... Peter Sabo, de
Slovénie, Kent Roberson, de Caroline du Nord... Et
Bernard Auric, voisin de la centrale thermique de Gardanne et, cerise
sur le gâteau, son ancien directeur. Fondateur de l'ANLP (association de
lutte contre les nuisances et la pollution), Bernard Auric a été
contacté par Nicholas Bell, Anglais installé dans
les Alpes, président de SOS Forêt, militant actif depuis que la
centrale a lancé la reconversion de la tranche 4 du charbon à la
biomasse. "Je suis en rapport avec Mary S. Booth, directrice de l'ONG Partnership for Policy Integrity basée aux États-Unis,
témoigne-t-il. Elle dénonce les coupes destinées à
alimenter en pellets ou en granulés les centrales européennes. La
directive européenne a accru le phénomène. Une centrale comme Drax dans
le Yorkshire fonctionne avec 13,2 millions de tonnes
de bois par an. Or, les forêts américaines sont peu protégées et on
assiste à des coupes rases. Mary m'a parlé de la centrale de Gardanne.
Elle m'a demandé de trouver des plaignants français".
Bernard Auric et les autres membres de l'ANLP n'ont pas vraiment hésité. "À 83 ans, je n'ai plus rien à perdre"
confie-t-il. L'association a contribué à l'action introduite
contre la décision préfectorale d'autorisation d'exploitation de la
centrale à la biomasse. Le 8 juin 2017, le tribunal administratif de
Marseille l'annulait pour insuffisance de l'étude d'impact sur
l'alimentation en bois nécessaire - 850 000 tonnes/an. Après
l'appel d'Uniper et de Nicolas Hulot, alors ministre, la préfecture a
accordé une autorisation provisoire dont le délai est largement dépassé.
Personne ne sait quand se tiendra la 2e instance.
"Depuis 2003,
on se bat contre les nuisances croissantes de la centrale : envols de
poussière autour des sites de stockage du bois, rondes des poids-lourds,
et le bruit, insupportable.
Mon voisin a dormi l'été dernier avec un matelas entre le volet et la
fenêtre fermée pour assourdir le bruit des moteurs, en vain. On a obtenu
du sous-préfet une étude indépendante de mesures ; elles ont prouvé les
dépassements des normes durant les périodes
nocturnes. Uniper a été mis en demeure de trouver des solutions".
Depuis
décembre, la grève des salariés de la centrale contre la décision du
gouvernement de mettre un terme au charbon a permis au voisinage de
retrouver un calme relatif.
"La tranche 5 a été mise en service en 1984, la 4 en 1967, poursuit Bernard Auric. Ils
n'ont changé que la chaudière, pas les moteurs. La tranche biomasse
n'a jamais fonctionné. Depuis trois ans, elle a dû tourner deux
semaines à fond pour les 7 500 heures prévues dans le contrat de
régulation de l'énergie. Mais il y a eu plusieurs épisodes de
démarrages, de phases de test. Ça montait en puissance, jusqu'à 1800
m on l'entendait. L'équivalent d'un hélicoptère volant à 100 m de haut."
Bernard
Auric, ingénieur en électricité, a été embauché en 1964 à la centrale.
Il y a gravi les échelons pour terminer responsable jusqu'en 1991, date à
laquelle les Charbonnages de
France l'ont dirigé vers la sortie. "On m'a reproché d'avoir été le patron, conclut Bernard Auric, anticipant les reproches, la remise en cause de cet équipement et par là, les menaces sur l'emploi. J'ai
payé mes charges sociales
toute ma vie, ma retraite, j'y ai droit. Moi, je vois mes voisins, je
vois des jeunes souffrir de pathologies liées à la pollution de l'air."
La combustion de bois, déforestation et pollutions nocives ?
La
directive européenne révisée en 2018 (RED II) sur les énergies
renouvelables entend réduire par les États membres d'ici 2030 les
émissions de carbone de 40 % par rapport aux niveaux
de 1990. Elle pose la combustion de bois comme source d'énergie
renouvelable neutre en carbone. "Or, s'élève Nicholas Bell, non
seulement elle va contribuer à la déforestation, mais en plus, elle
omet le temps que mettront les arbres
à repousser, leur rôle comme puits de carbone, et elle participera à
l'augmentation des gaz à effet de serre. Les centrales au bois rejettent
plus de CO2 par unité d'énergie que les centrales à charbon (1,5 fois plus selon certaines études,
Ndlr). Les usines de pellets à partir de biomasse
brute sont elles-mêmes d'importants générateurs de pollution
atmosphérique nocive pour la santé". De nombreux rapports pointent les menaces de santé publique des centrales fonctionnant
à la biomasse dues aux particules fines, aux dioxines, etc., générées par la combustion. Ce qu'infirme Atmosud (ci-dessous).
La
centrale est censée fonctionner avec 850 000 t. de bois par an, issu
grandement de l'importation (actuellement, le Brésil) et à terme, d'un
rayon de 400 km alentour. L'ALNP, dans
un courrier au président de la République adressé en octobre dernier -
et resté sans réponse - avance une étude de l'Ademe qui estime que la
ressource locale en bois, d'ici 2031, sera insuffisante par rapport à la
demande - des autres chaudières à bois publiques,
de l'usine à papier de Tarascon... Le prix du marché a anticipé : le
bois de chauffage a crû de 30 % en trois ans.
La
plainte, si elle est retenue - ce qui serait une "première" dans
l'histoire européenne, Ndlr - a pour objet l'annulation de cette
directive estimée "incompatible avec les objectifs
environnementaux du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne"
et les subventions afférentes qui pourraient être versées. Pour rappel,
l'État, en adoubant EOn dans sa reconversion à la biomasse, avait
garanti le montant du rachat de l'électricité
produite réinjectée dans le réseau à hauteur de 1,4 milliard d'€ sur
vingt ans.
"La France, c'est pas l'Amazonie"
Unanimement,
la filière de bois locale rappelle que la forêt française n'est pas
gérée comme l'amazonienne, mais des voix se sont déjà fait entendre sur
le danger que pourrait représenter
une demande exponentielle en sus des besoins de la papeterie de
Tarascon : multiplication des chaudières individuelles et collectives,
centrale de biomasse de Brignoles en fonctionnement depuis trois ans
(140 000 t./an), celle de Gardanne... Et désormais,
certification du pin d'Alep qui laisse entrevoir de nouvelles
perspectives en matière de construction.
La
filière se structure et les professionnels et collectivités se sont
regroupés au sein de Fibois Sud, depuis les acteurs en amont
(forestiers, propriétaires privés, ONF, etc., qui
ont la ressource) et en aval (menuisiers, industriels, etc., qui la
transforment). Alors que le schéma régional de la biomasse se finalise -
et tend à estimer la ressource mobilisable suffisante à condition de
structurer son exploitation -, Gérard Gautier,
président de Fransylva, syndicat des propriétaires forestiers, juge que
la certification du pin d'Alep va changer beaucoup de choses : "20 %
seulement des pins sont utilisables en bois d'oeuvre ; nous ne sommes
pas des champions en sylviculture et on a
laissé les forêts pousser n'importe comment. Les éclaircir, débarrasser
les bois morts, coûtait cher. Les nouveaux débouchés d'utilisation des
rémanents pour valoriser le bois d'oeuvre change la donne. L'offre est
largement suffisante, il y a un besoin urgent
de mieux gérer les espaces forestiers mais pas à n'importe quel prix :
éviter les prélèvements sur les zones les plus faciles, c'est empêcher
les coupes rases. Je fais des coupes chez moi depuis 30 ans, je prélève
1,9 t./an ; si vous multipliez par le 1,5
million d'hectares de forêt de la région, cela fait beaucoup de bois.
La surface de nos forêts croît naturellement de 2 % par an ; on n'en
prélève que 20 %"
L'air des cheminées pire que les centrales
L'analyse
de la composition de l'air de rejet des combustions de bois est bien
rodée pour les brûlages ou feux de cheminée. Moins pour les centrales...
"Quand on a travaillé sur
la chaufferie d'Encagnane, précise Dominique Robin, directeur d'Atmo Sud, la
question demeure de savoir si les traceurs habituels peuvent être
répercutés sur une combustion industrielle qui, par ailleurs, est dotée
de systèmes de filtrations
efficaces. En revanche, que ce soit à Encagnane ou à la centrale de
biomasse de Brignoles, l'oxyde d'azote, polluant pour le dépassement
duquel l'Europe pointe la France, est bien présent (+20 à 30 %), mais
difficile à isoler de la pollution ambiante. Nous
n'avons pas isolé de présence notable de particules fines à Brignoles,
sans doute du fait d'une bonne filtration. Pour Gardanne, il est
difficile de faire des mesures tant que le process n'est pas stabilisé
mais on connaît déjà le niveau ambiant de pollution.
En bref, oui, la combustion du bois mal maîtrisée (cheminées, vieilles
chaudières) pollue mais les filtres industriels sont performants. La
biomasse peut donc être vue comme une énergie neutre... Si le transport
du bois n'alourdit pas le bilan carbone..."