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mercredi 3 avril 2019

Centrale biomasse : une action collective contre l'Europe

Pays d'Aix - Centrale biomasse : une action collective contre l'Europe

Bernard Auric, ancien patron de la centrale, fait partie des six plaignants européens et américain à saisir la Cour de justice européenne contre le recours au bois de combustion

Par Carole Barletta
Soutenus par des ONG internationales, six plaignants soutiennent que l'emploi de plus en plus croissant à la biomasse contribue à la déforestation.
Soutenus par des ONG internationales, six plaignants soutiennent que l'emploi de plus en plus croissant à la biomasse contribue à la déforestation.PHOTO SERGE MERCIER
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Une plainte vient d'être introduite auprès de la Cour de justice du Luxembourg contre une directive européenne qui inclut la biomasse dans les sources d'énergie renouvelable. En ligne de mire, les centrales à bois. Les plaignants, portés par des associations et ONG environnementales, sont six citoyens qui se battent contre la déforestation et les nuisances engendrées par la biomasse. Il y a Hasso Krull qui voit ses forêts estoniennes détruites ; Tony Lowes qui milite pour la fermeture des centrales électriques alimentées à la tourbe en Irlande ; Raul Cazan, en Roumanie, alerte du saccage des dernières forêts vierges des Carpates... Peter Sabo, de Slovénie, Kent Roberson, de Caroline du Nord... Et Bernard Auric, voisin de la centrale thermique de Gardanne et, cerise sur le gâteau, son ancien directeur. Fondateur de l'ANLP (association de lutte contre les nuisances et la pollution), Bernard Auric a été contacté par Nicholas Bell, Anglais installé dans les Alpes, président de SOS Forêt, militant actif depuis que la centrale a lancé la reconversion de la tranche 4 du charbon à la biomasse. "Je suis en rapport avec Mary S. Booth, directrice de l'ONG Partnership for Policy Integrity basée aux États-Unis, témoigne-t-il. Elle dénonce les coupes destinées à alimenter en pellets ou en granulés les centrales européennes. La directive européenne a accru le phénomène. Une centrale comme Drax dans le Yorkshire fonctionne avec 13,2 millions de tonnes de bois par an. Or, les forêts américaines sont peu protégées et on assiste à des coupes rases. Mary m'a parlé de la centrale de Gardanne. Elle m'a demandé de trouver des plaignants français".
Bernard Auric et les autres membres de l'ANLP n'ont pas vraiment hésité. "À 83 ans, je n'ai plus rien à perdre" confie-t-il. L'association a contribué à l'action introduite contre la décision préfectorale d'autorisation d'exploitation de la centrale à la biomasse. Le 8 juin 2017, le tribunal administratif de Marseille l'annulait pour insuffisance de l'étude d'impact sur l'alimentation en bois nécessaire - 850 000 tonnes/an. Après l'appel d'Uniper et de Nicolas Hulot, alors ministre, la préfecture a accordé une autorisation provisoire dont le délai est largement dépassé. Personne ne sait quand se tiendra la 2e instance.
"Depuis 2003, on se bat contre les nuisances croissantes de la centrale : envols de poussière autour des sites de stockage du bois, rondes des poids-lourds, et le bruit, insupportable. Mon voisin a dormi l'été dernier avec un matelas entre le volet et la fenêtre fermée pour assourdir le bruit des moteurs, en vain. On a obtenu du sous-préfet une étude indépendante de mesures ; elles ont prouvé les dépassements des normes durant les périodes nocturnes. Uniper a été mis en demeure de trouver des solutions".
Depuis décembre, la grève des salariés de la centrale contre la décision du gouvernement de mettre un terme au charbon a permis au voisinage de retrouver un calme relatif.
"La tranche 5 a été mise en service en 1984, la 4 en 1967, poursuit Bernard Auric. Ils n'ont changé que la chaudière, pas les moteurs. La tranche biomasse n'a jamais fonctionné. Depuis trois ans, elle a dû tourner deux semaines à fond pour les 7 500 heures prévues dans le contrat de régulation de l'énergie. Mais il y a eu plusieurs épisodes de démarrages, de phases de test. Ça montait en puissance, jusqu'à 1800 m on l'entendait. L'équivalent d'un hélicoptère volant à 100 m de haut."
Bernard Auric, ingénieur en électricité, a été embauché en 1964 à la centrale. Il y a gravi les échelons pour terminer responsable jusqu'en 1991, date à laquelle les Charbonnages de France l'ont dirigé vers la sortie. "On m'a reproché d'avoir été le patron, conclut Bernard Auric, anticipant les reproches, la remise en cause de cet équipement et par là, les menaces sur l'emploi. J'ai payé mes charges sociales toute ma vie, ma retraite, j'y ai droit. Moi, je vois mes voisins, je vois des jeunes souffrir de pathologies liées à la pollution de l'air."

La combustion de bois, déforestation et pollutions nocives ?

La directive européenne révisée en 2018 (RED II) sur les énergies renouvelables entend réduire par les États membres d'ici 2030 les émissions de carbone de 40 % par rapport aux niveaux de 1990. Elle pose la combustion de bois comme source d'énergie renouvelable neutre en carbone. "Or, s'élève Nicholas Bell, non seulement elle va contribuer à la déforestation, mais en plus, elle omet le temps que mettront les arbres à repousser, leur rôle comme puits de carbone, et elle participera à l'augmentation des gaz à effet de serre. Les centrales au bois rejettent plus de CO2 par unité d'énergie que les centrales à charbon (1,5 fois plus selon certaines études, Ndlr). Les usines de pellets à partir de biomasse brute sont elles-mêmes d'importants générateurs de pollution atmosphérique nocive pour la santé". De nombreux rapports pointent les menaces de santé publique des centrales fonctionnant à la biomasse dues aux particules fines, aux dioxines, etc., générées par la combustion. Ce qu'infirme Atmosud (ci-dessous).
La centrale est censée fonctionner avec 850 000 t. de bois par an, issu grandement de l'importation (actuellement, le Brésil) et à terme, d'un rayon de 400 km alentour. L'ALNP, dans un courrier au président de la République adressé en octobre dernier - et resté sans réponse - avance une étude de l'Ademe qui estime que la ressource locale en bois, d'ici 2031, sera insuffisante par rapport à la demande - des autres chaudières à bois publiques, de l'usine à papier de Tarascon... Le prix du marché a anticipé : le bois de chauffage a crû de 30 % en trois ans.
La plainte, si elle est retenue - ce qui serait une "première" dans l'histoire européenne, Ndlr - a pour objet l'annulation de cette directive estimée "incompatible avec les objectifs environnementaux du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne" et les subventions afférentes qui pourraient être versées. Pour rappel, l'État, en adoubant EOn dans sa reconversion à la biomasse, avait garanti le montant du rachat de l'électricité produite réinjectée dans le réseau à hauteur de 1,4 milliard d'€ sur vingt ans.

"La France, c'est pas l'Amazonie"

Unanimement, la filière de bois locale rappelle que la forêt française n'est pas gérée comme l'amazonienne, mais des voix se sont déjà fait entendre sur le danger que pourrait représenter une demande exponentielle en sus des besoins de la papeterie de Tarascon : multiplication des chaudières individuelles et collectives, centrale de biomasse de Brignoles en fonctionnement depuis trois ans (140 000 t./an), celle de Gardanne... Et désormais, certification du pin d'Alep qui laisse entrevoir de nouvelles perspectives en matière de construction.
La filière se structure et les professionnels et collectivités se sont regroupés au sein de Fibois Sud, depuis les acteurs en amont (forestiers, propriétaires privés, ONF, etc., qui ont la ressource) et en aval (menuisiers, industriels, etc., qui la transforment). Alors que le schéma régional de la biomasse se finalise - et tend à estimer la ressource mobilisable suffisante à condition de structurer son exploitation -, Gérard Gautier, président de Fransylva, syndicat des propriétaires forestiers, juge que la certification du pin d'Alep va changer beaucoup de choses : "20 % seulement des pins sont utilisables en bois d'oeuvre ; nous ne sommes pas des champions en sylviculture et on a laissé les forêts pousser n'importe comment. Les éclaircir, débarrasser les bois morts, coûtait cher. Les nouveaux débouchés d'utilisation des rémanents pour valoriser le bois d'oeuvre change la donne. L'offre est largement suffisante, il y a un besoin urgent de mieux gérer les espaces forestiers mais pas à n'importe quel prix : éviter les prélèvements sur les zones les plus faciles, c'est empêcher les coupes rases. Je fais des coupes chez moi depuis 30 ans, je prélève 1,9 t./an ; si vous multipliez par le 1,5 million d'hectares de forêt de la région, cela fait beaucoup de bois. La surface de nos forêts croît naturellement de 2 % par an ; on n'en prélève que 20 %"

L'air des cheminées pire que les centrales

L'analyse de la composition de l'air de rejet des combustions de bois est bien rodée pour les brûlages ou feux de cheminée. Moins pour les centrales... "Quand on a travaillé sur la chaufferie d'Encagnane, précise Dominique Robin, directeur d'Atmo Sud, la question demeure de savoir si les traceurs habituels peuvent être répercutés sur une combustion industrielle qui, par ailleurs, est dotée de systèmes de filtrations efficaces. En revanche, que ce soit à Encagnane ou à la centrale de biomasse de Brignoles, l'oxyde d'azote, polluant pour le dépassement duquel l'Europe pointe la France, est bien présent (+20 à 30 %), mais difficile à isoler de la pollution ambiante. Nous n'avons pas isolé de présence notable de particules fines à Brignoles, sans doute du fait d'une bonne filtration. Pour Gardanne, il est difficile de faire des mesures tant que le process n'est pas stabilisé mais on connaît déjà le niveau ambiant de pollution. En bref, oui, la combustion du bois mal maîtrisée (cheminées, vieilles chaudières) pollue mais les filtres industriels sont performants. La biomasse peut donc être vue comme une énergie neutre... Si le transport du bois n'alourdit pas le bilan carbone..."

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