https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/04/11/en-matiere-de-prevention-nous-ne-sommes-pas-a-la-hauteur-de-l-epidemie_6036316_3244.html
Coronavirus en France : « En matière de prévention, nous ne sommes pas à la hauteur de l’épidémie »
Pour l’ancien directeur général de la santé William Dab, le
gouvernement fait peser, avec le confinement, l’ensemble des efforts de
prévention sur la population.
Professeur
émérite au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), où il
était il y a peu titulaire de la chaire Hygiène et sécurité, William Dab
est médecin et épidémiologiste. De 2003 à 2005, il a été directeur
général de la santé et avait démissionné en raison de désaccords sur la
politique de santé publique avec le ministre de la santé d’alors,
Philippe Douste-Blazy. Il livre une analyse critique de la réponse
française au Covid-19.
Quelle est votre appréciation de la situation sanitaire de l’épidémie de Covid-19 ?
Un
premier élément à prendre en compte est qu’actuellement nous avons un
décompte de la morbidité et de la mortalité directement liée au virus.
En fait, nous aurons aussi à déplorer des répercussions sur la santé à
moyen terme qu’on peut appeler indirectes parce que ce n’est pas le
virus qui sera en cause, mais les complications chez les patients
souffrant de maladies cardiaques, pulmonaires, rénales, etc.
Ces
complications ont deux origines. Le Covid-19, qui entraîne un
alitement, qui est un facteur de risque important chez les personnes
âgées. Et le fait que le suivi des malades chroniques est moins bon
parce que le système de soins est saturé par l’épidémie. Il faut donc
s’attendre au total à plusieurs dizaines de milliers de décès
directement et indirectement liés à l’épidémie.
Et sur l’évolution de l’épidémie ?
Je
suis frappé par le fait qu’après quatre semaines de confinement, la
courbe épidémique n’est que ralentie. Nous restons avec un flux
important de malades chaque jour. Trois raisons peuvent expliquer cela.
D’abord
le confinement n’est qu’imparfaitement respecté. En particulier, ceux
qui continuent de travailler et qui prennent les transports en commun
peuvent se contaminer, alors que le port du masque n’est pas généralisé.
Ensuite, on peut se demander s’il n’y a pas une transmission aérienne
du virus et pas seulement par les gouttelettes. Cette question est
débattue, notamment cette semaine dans la revue Nature. Enfin,
et cela me semble très grave, on laisse retourner chez elles des
personnes contagieuses à la sortie de l’hôpital ou du cabinet du médecin
parce qu’elles n’ont pas besoin de soins. Elles peuvent alors
contaminer leurs proches. Comment l’éviter quand on vit dans un petit
appartement ?
Que faudrait-il faire ?
Cela
fait des jours que plusieurs instances, dont le conseil scientifique du
gouvernement, recommandent de mettre ces personnes, de même que leurs
contacts, en isolement dans des hôtels (qui sont vides) ou des lieux
fermés analogues. La maire de Paris le demande aussi, mais il ne se
passe rien.
De façon
générale, dans les mesures adoptées, il y a un mélange d’excellence et
de médiocrité. L’excellence, ce sont les soins. Des centaines de vie ont
été sauvées par l’héroïsme des soignants et des aidants, ainsi que par
un effort sans précédent qui a permis de doubler nos capacités de
réanimation et de désengorger les hôpitaux saturés. C’est vraiment
remarquable.
En revanche, en matière de prévention, nous ne sommes pas à la hauteur de l’épidémie.
Pourquoi ?
La
seule mesure de prévention est en réalité le confinement généralisé
assorti de recommandations d’hygiène. Autrement dit, on fait peser sur
la population la totalité des efforts de prévention. Ça ne peut pas
marcher et le coût humain est effrayant avec un cortège d’inégalités
sociales qui s’aggravent. Réalise-t-on bien ce que cela représente pour
une famille avec disons deux enfants qui vit dans 50 m² avec les deux
parents en télétravail et les enfants qui doivent faire l’école à la
maison ? Si l’effort de prévention est partagé, cela peut tenir encore
quelque temps, mais, s’il ne se passe rien d’autre, il y aura des
mouvements de révolte. Or l’adhésion du public est une condition pour
casser l’épidémie. Le macromanagement ne suffit pas. Il faut une
capacité de micromanagement.
Je
considère que nous entrons dans une période où le confinement aura plus
d’inconvénients (économiques, psychologiques, familiaux, médicaux) que
de bénéfices.
Que peut-on faire d’autre ?
D’abord
de l’épidémiologie de terrain. Comment se fait-il que ce soient des
épidémiologistes britanniques qui ont estimé la proportion de Français
infectés ? Comment lutter contre une épidémie sans connaître son
étendue ? Des enquêtes par sondages hebdomadaires par téléphone ou
Internet permettraient de suivre son évolution. C’est facile à réaliser.
Ce n’est pas complètement fiable, mais c’est mieux d’être dans le
brouillard que dans le noir absolu. En attendant que des tests
sérologiques soient déployés à grande échelle, même avec des
imperfections, ce type d’enquête par sondages répétés nous donnerait une
tendance sur l’évolution de la prévalence de l’infection.
De
même, il faut comprendre pourquoi on a encore tant de nouveaux malades.
Où ont-ils été contaminés ? On ne peut pas enquêter sur tous les cas,
mais, là encore, une procédure d’échantillonnage suffirait à fournir des
indications sur les circonstances de l’infection. Dans les CHU, de
nombreuses études cliniques sur d’autres thèmes que le Covid-19 sont
actuellement suspendues. Les professionnels de santé qui les réalisent
sur le terrain et ont un savoir-faire pourraient être mobilisés à cette
fin.
Autre exemple, il y a
des dizaines de milliers de patients qui prennent quotidiennement de
l’hydroxychloroquine pour des maladies rhumatismales. Cela fait plus de
deux mois qu’il y a un débat sur ce traitement. Pourquoi ne sait-on pas
si ces patients sont moins atteints par le coronavirus que les autres ?
Nous avons des bases de données accessibles pour faire ce travail et une
agence du médicament pour le faire.
Ensuite,
on ne dit pas clairement à la population quand les masques et les tests
arriveront. Si on ne le sait pas, il faut le dire. Aucun déconfinement
n’est envisageable sans ces outils. De même, quand les soignants
seront-ils enfin correctement protégés ? On n’entend pas la réponse.
Enfin, il faut un commandement unifié et moins de bureaucratie.
Que voulez-vous dire ?
Je
vais vous donner un exemple personnel. Dès le début de l’alerte, je me
suis inscrit à la réserve sanitaire. Il y a une semaine, je reçois un
message me demandant si je suis prêt à appuyer au plan épidémiologique
une ARS [agence régionale de santé] dans un département
d’outre-mer. Je réponds immédiatement que je suis volontaire et que je
libère tout mon agenda jusqu’à fin juin. Au bout de six jours, pas de
réponse. Je fais savoir que je trouve cela anormal en situation
d’urgence. Je reçois alors comme réponse que mon dossier administratif
n’est pas complet. Il manque la copie de mon diplôme de docteur en
médecine (qui est à mon bureau, donc inaccessible) et un certificat
d’aptitude médicale. Je n’aurai pas l’odieuse pensée de déranger un
confrère surchargé pour qu’il atteste que je suis apte à faire de
l’épidémiologie ! Le président de la République a déclaré la guerre,
mais les services continuent de fonctionner comme en temps de paix.
En 1917,
la première chose qu’a faite Georges Clemenceau en devenant président
du Conseil et ministre de la guerre, c’est de se débarrasser des
bureaucrates sans valeur ajoutée, voire à valeur négative. Ensuite, il a
obtenu des Alliés un commandement unifié. On multiplie les instances,
les conseils, les comités qui font de leur mieux, mais il n’y a pas le
souci des détails, ils n’ont pas de rôle opérationnel. Quand Clemenceau
visitait le front au péril de sa vie, ce n’était pas seulement pour
soutenir le moral des troupes. C’était aussi pour vérifier que
l’intendance suivait.
Pour
gagner contre une épidémie, il faut trois conditions : la surveillance,
la réactivité et un commandement resserré qui fait un lien opérationnel
entre la doctrine et le terrain.
Etes-vous pessimiste ?
Oui,
au moment où nous nous parlons. Non, si les principes de base de la
lutte contre les épidémies sont enfin mis en œuvre de toute urgence en
s’affranchissant des contraintes administratives que le gouvernement a
désormais les outils juridiques de lever.
Cette
situation illustre jusqu’à la caricature la faiblesse de la santé
publique française. On mise tout sur les soins sans réaliser que la
prévention est un investissement très rentable. Chaque fois que l’on
dépense 100 euros dans le domaine de la santé, 96 % vont aux soins et
4 % à la prévention organisée. C’est cela que nous payons, comme nous
payons l’incurie de la gestion de l’amiante – 100 000 décès cumulés.
Tous
les soirs à 20 heures, nous applaudissons nos soignants. Je me demande
si nous ne devrions pas siffler tous les midis les carences de la
prévention de terrain jusqu’à ce qu’elle devienne efficace.
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