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jeudi 16 novembre 2023

Montgenevre, plus haut, plus cher, plus de béton

 Projet de construction de la Télécabine du Rocher de l’Aigle

Contribution de l’AESC à la procédure de participation du public par voie électronique

 

Préambule

En août 2022, lors de l’enquête publique pour la mise en place du télésiège 6 places exploité uniquement en hiver, l’AESC avait transmis ses observations et propositions au Commissaire Enquêteur. La question de l’exploitation estivale, niée dans l’étude d’impact, était déjà posée, ainsi que celle de la prise en compte du projet de Réserve Naturelle Régionale sur le massif du Chenaillet, déjà engagé mais ignoré dans les documents de l’enquête. Suite à des questions du Commissaire Enquêteur, la Mairie de Montgenèvre reconnaissait sa volonté d’exploitation estivale et transmettait au Commissaire Enquêteur une carte de zonage d’un périmètre d’étude pour la Réserve, faisant croire au Commissaire Enquêteur que cette carte avait été élaborée avec les associations du groupe de travail constitué pour la mise en protection du massif du Chenaillet, ce qui n’était pas le cas.

Par la suite, nous apprenions que le télésiège 6 places était remplacé par une télécabine 10 places, que l’exploitation estivale n’était officiellement plus de mise (dans « Alpes et Midi », le 19 janvier 2023, le Maire de Montgenèvre indique « De plus, les cabines seront enlevées et stockées durant l’été, impactant d’autant moins le paysage »), puis qu’elle était réinscrite dans les documents du premier permis modificatif (Etude d’impact modifiée / février 2023), puis à nouveau ré-abandonnée (réponse à la MRAE / avril 2023), ce qui été confirmé à l’AESC par courrier du Maire de Montgenèvre le 29 juin 2023.

Suite au recours gracieux de l’AESC contre le permis modificatif accordé le 27 avril 2023, la Préfecture indique : « ll en ressort une illégalité sur la mise à disposition du public du nouveau projet de télécabine », cette formalité préalable étant « régularisable » (courrier du 13 juillet 2023). Suite au dépôt d’un second permis modificatif (10 août 2023), la consultation actuelle du public (18 oct- 17 nov 2023) est réalisée alors que les travaux sont terminés et les équipements en phase de test.

 

Observations et questions de l’AESC

      Est-il raisonnable de poursuivre encore davantage l’anthropisation de cette zone de haute montagne ?

La montagne d’altitude est un espace rare, de très haute valeur pour l’Homme et pour le Vivant, qui se trouve toujours plus dénaturé sous la pression de l’homme « moderne ». Cette évolution constitue une perte considérable et irrémédiable du patrimoine naturel, paysager, ainsi que symbolique et spirituel  pour l’être humain.

Toute intensification supplémentaire de cette anthropisation dégradante ne saurait se justifier que par l’impérieuse nécessité, qui n’est clairement pas présente ici.

Par le surcroît de pression humaine qu’entrainera inévitablement ce projet, l’atteinte supplémentaire qu’il portera à ce milieu précieux ne nous paraît absolument pas justifiée au regard de ses objectifs.

Ce projet nous paraît aussi totalement incompatible avec la préservation des ressources,  notamment hydriques, et du climat, qui s’impose aujourd’hui à notre société. Il serait grand temps de penser la montagne autrement, et d’orienter l’argent public vers les défis écologiques considérables auxquels le pays doit faire face.

 

Concernant la période d’exploitation :

   Pouvez-vous répondre clairement et définitivement à la question : « la télécabine sera-t-elle exploitée en saison estivale ? »

Contrairement aux dernières positions officielles de la Mairie de Montgenèvre qui exprimaient explicitement l’abandon de l’exploitation estivale (voir ci-dessus), le deuxième permis modificatif déposé le 10 août 2023 indique toujours, dans sa notice descriptive, que l’exploitation sera hivernale ET estivale.

Venant après les changements de pied successifs rappelés en préambule, cette incohérence prolongée dans la présentation de la politique d’exploitation de l’équipement n’est pas acceptable.

Si l’exploitation estivale est réellement abandonnée, le permis modificatif devrait l’indiquer clairement afin que le doute soit définitivement levé.

  La télécabine du Rocher de l’Aigle est associée côté italien à la réalisation du télésiège Gimont-Colleto Verde annoncée pour 2024, chaque projet se justifiant par la réalisation de l’autre (ce que les logiciens appellent joliment « l’étreinte fatale »). Notons que les études d’impact indiquent à tort que le projet italien a été réalisé en 2022 (Etude d’impact modifiée - p155).

Si la télécabine du Rocher de l’Aigle ne fonctionne pas en été, qu’en sera-t-il pour le télésiège italien ? Pouvez-vous confirmer que le télésiège italien ne fonctionnera pas non plus en période estivale, ces deux équipements étant étroitement associés  ?

 

Concernant les risques liés à la surfréquentation et les atteintes à la biodiversité

  L’étude d’impact modifiée, tout comme l’étude initiale de 2022, ne présente aucune analyse de l’impact sur la biodiversité du surcroît de fréquentation engendré par le projet, que ce soit l’hiver ou l’été. La réponse fournie à la MRAE à ce sujet, suggérant l’absence d’itinéraires dans ce secteur, est trompeuse, omettant par exemple les itinéraires de randonnée et de trail dénommés « Le Chenaillet  » qui passent au voisinage de la gare d’arrivée du Rocher de l’Aigle. De nombreux itinéraires de randonnées, de VTT ou de trail existent sur le massif du Chenaillet, promus par les stations française et italienne et nul doute que la télécabine favorisera l’accès à ces parcours et suscitera la mise en place de nouveaux parcours.

De plus, cette réponse occulte totalement la forte fréquentation actuelle du versant cerveyrin du massif du Chenaillet, que ce soit à partir du versant Nord (Montgenèvre), ou à partir du lac Gimont très facilement accessible par le côté italien, alors que le versant cerveyrin fait déjà l’objet de dégradations dommageables pour les milieux naturels par l’importante fréquentation touristique et scolaire.

Or ce projet, avec le télésiège Gimont-Colletto Verde côté italien, répond à la volonté affichée des stations française et italiennes de «faciliter les échanges d’un versant à l’autre des domaines skiables » et de « garantir une itinérance franco-italienne en toutes saisons » (cf SCOT du Briançonnais DOO p64), et entraînera par conséquent un accroissement « voulu » de la fréquentation du massif du Chenaillet. L’étude d’impact n’envisage aucune mesure compensatoire à ce sujet.

Le versant cerveyrin est particulièrement attractif et « vendeur » car vanté pour sa haute vallée encore vierge d’aménagements, et il subit une fréquentation hivernale et estivale de plus en plus dommageable pour les milieux naturels et la biodiversité. L'exploitation estivale des équipements du Rocher de l'Aigle ne ferait qu'aggraver cette situation de surfréquentation déjà prégnante. En effet, ces dernières années, les VTT, VAE et tous types de 2 roues, les coureurs, randonneurs, publics scolaires et scientifiques des sites géologiques exceptionnels, de plus en plus nombreux, ont fortement dégradé les sentiers et leurs abords. Des zones humides ont été piétinées et traversées. De multiples passages hors sentiers ont été créés, avec des disparitions de couvert végétal et de sols qui, en haute montagne, mettent très longtemps à se reconstituer, voire ne se reconstituent jamais. Certaines plantes rares ont déjà disparu. En hiver, les pratiques « hors pistes » qui se sont développées (ski, raquettes, randonnée, vélos) conduisent à des dérangements néfastes de la faune, ainsi qu’à des dégradations des sols et du couvert végétal.

Toutes ces pratiques s’accroissent dans un contexte où les acteurs économiques et institutionnels promeuvent la montagne et les espaces naturels comme un « fabuleux terrain de jeux » dans lequel la protection de la biodiversité est tout à fait secondaire.

  Face à ce constat, la mise en place de mesures de protection telles que le projet de Réserve Naturelle Régionale en cours de construction est une nécessité. Dans l’étude d’impact modifiée, seule une référence au projet de RNR a été ajoutée (page 117 Chapitre Patrimoine culturel et archéologique / Site naturel emblématique), avec une carte présentant un projet de "premier périmètre de principe" qui "servira de base de travail" mais qui, rappelons-le, n'a jamais été discuté avec les associations parties prenantes. Le projet de réserve en cours n'est pas mentionné dans le résumé de l'étude d'impact ni dans aucun des tableaux d'analyse des impacts.

La Mairie de Montgenèvre, partie prenante dans ce projet, ne devrait-elle pas mettre en avant le projet de Réserve dans sa communication ? Quels moyens seront mis en œuvre par la Mairie pour supprimer les impacts négatifs de l’accroissement de la fréquentation entraîné par les nouveaux équipements, français et italien, du Rocher de l’Aigle ?

On note également que dans les deux études d’impact, la zone Natura2000 FR9301503 « Rochebrune-Izoard-Vallée de la cerveyrette », qui inclut notamment le marais du Bourget et une partie du versant Sud du massif du Chenaillet, située dans le même massif à moins de 3 km, est totalement ignorée. De même, les nombreuses études naturalistes effectuées sur le massif du Chenaillet depuis plus de 20 ans ne sont même pas citées, alors que ces lacunes avaient déjà été signalées lors de l’enquête publique en 2022.

 

Concernant le changement climatique et les besoins en eau et énergie accrus

Le projet est fortement associé à la production de neige de culture, forte consommatrice de ressource en eau et d’énergie. Il y a là une fuite en avant car les besoins en neige de culture vont augmenter, alors que la ressource en eau va se raréfier et l'énergie devenir une ressource de plus en plus précieuse. Le ski n’est-il pas voué à devenir un luxe pour notre société ? Compte-tenu de l’impact énergétique délétère du tourisme intensif, comment concevez-vous la contribution de la station à la politique de transition énergétique ? La justification de l’utilisation pour la neige de culture d’une ressource en eau de plus en plus convoitée devrait également s’analyser au moins à l’échelle des bassins versants régionaux (Durance, Doire).

Dans son avis, "La MRAE recommande de démontrer, à partir d’éléments de consommation quantifiés et suffisamment précis, que la ressource en eau est suffisante pour répondre à l’ensemble des usages dans le futur, dont l’enneigement artificiel dans un contexte de réduction de la durée d’enneigement en raison du changement climatique." La réponse apportée à cette demande ne fait état que de données pour la situation actuelle, l'estimation des besoins et ressources futurs prenant en compte le changement climatique n'est pas présentée. Or c'est bien une question primordiale. Pouvez-vous présenter ces données de projection, mettant en regard les besoins et les ressources futurs pour les différents usages de l’eau ?

 

Concernant l’impact paysager :

Dans l’étude d’impact, l’impact paysager de la télécabine est minimisé : en réalité, il est beaucoup plus important. Les nouvelles gares sont beaucoup plus volumineuses et plus hautes que les anciennes gares. La nouvelle gare d'arrivée se détache beaucoup plus sur la crête que l'ancienne gare, et devient beaucoup plus visible depuis de nombreux points de vue. Les pylônes, certes moins nombreux et épargnant les zones humides, sont beaucoup plus grands et imposants. Ces détériorations de paysage semblent complètement occultées.

 

Concernant les travaux de la gare italienne du Rocher de l’Aigle :

La RARM indique que les travaux de terrassement de la gare italienne ont été réalisés cette année (2023) en même temps que ceux de la gare française.

Dans quel contexte règlementaire ont été effectués ces travaux, dont une partie se situe en France et qui ne sont pas mentionnés dans le permis modificatif ?

De plus, l’AESC rappelle que le projet de porteur Cesana-Rocher de l’Aigle figure dans le SCOT du Briançonnais en tant qu’UTN structurante à moyen et long terme, et que sa réalisation est conditionnée à "une Modification, Révision allégée ou une Déclaration du projet du SCOT approuvé et d’une présentation devant le comité de massif compétent". Où en est cette procédure ?

 

Points spécifiques

  Une mesure compensatoire prévue dans l'étude d'impact est à confirmer :

Pouvez-vous confirmer la mise en place des balises avifaune sur le câble de sécurité, avant la mise en service de l'installation, comme prévu dans l'étude d'impact (p201 Mesure de réduction 5), tous les 3 ou 5m (actuellement, les photos disponibles montrent qu'elles ne sont pas installées) ?

 

  Un document est manquant :

Dans les documents fournis, l'étude Climsnow n'est pas jointe en annexe de la réponse faite à la MRAE, contrairement à ce que vous indiquez dans votre réponse. Pouvez-vous la mettre à disposition du public, comme les autres documents ?

 

 

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