La ruine du service public de l’électricité ou LE CHOIX DE L’ACCIDENT
Petit préambule sur cet article sur l’énergie
Avant, on parlait peu de l’énergie. À mesure que nos ressources se tarissent, le débat sur l’énergie fait rage. Mais il existe des absents de cet indispensable débat : les techniciens de l’énergie, ceux qui construisent, réparent, bref ceux qui font qu’on en a ! C’est comme si on débâtait de l’agriculture, sans jamais donner la parole aux paysans. Les philosophes en parlent, les journalistes, les experts qui n’ont jamais fait autre chose que de l’Excel, les professionnels de l’internet, les fous de réseaux sociaux, les youtubeurs toutologue, le tout avec beaucoup de rhétorique et pas de pratique. Un livre paru dans les années 2000, analysait les « décisions stupides ». Il définissait qu’une décision est stupide, quand elle nuit à beaucoup de personnes, mais aussi à celui qui l’a prise. Il racontait comment la NASA avait lancé la navette spatiale alors que tous les techniciens savaient qu’a -2 °C elle allait exploser. Il passait en revue les décisions stupides qui menaient à la catastrophe, alors que les risques étaient certains. Il remarquait que l’éloignement du terrain provoquait une sous-estimation des risques et des croyances et une incompréhension des problèmes techniques. La catastrophe de Tchernobyl fut provoquée par une décision stupide d’un directeur. Sur le terrain, personne ne voulait faire cette expérimentation, c’est-à-dire emballer la réaction d’un cœur nucléaire en coupant la sécurité. Les philosophes parlent aux philosophes, les sociologues aux sociologues, les techniciens aux techniciens. Vous entendrez, sur les médias de droite ou de gauche (sic), des experts, chercheurs, universitaires, sociologues, élus, responsables, décisionnaires mais jamais de techniciens. Voici de manière confidentielle, la parole d’un technicien des renouvelables, qui parle avec d’autres techniciens du nucléaire….
« Toujours lutter contre les conséquences, jamais contre les causes. »
C’est le slogan secret d’Emmanuel Macron dans toutes les matières. Après l’hôpital, voici l’électricité. Le prix de l’électricité s’envole, Macron ruine l’État et EDF, sans toucher aux mécanismes qui ont produit ce résultat. Les causes sont l’instauration d’un marché spéculatif dans l’électricité et la conversion d’EDF en multinationale. Spéculer sur un marché électrique, où le stockage est nul est stupide. C’est la certitude de faire faire au prix des montagnes russes. L’offre doit correspondre, à la seconde, à la demande : pas de rupture de stock ! Dans « l’idéologie de la loi du marché », ce conte pour enfant, en cas de pénurie, le prix monte. Dans cette légende, de plus en plus d’investisseurs se lancent dans la production et, finalement, l’offre d’électricité augmente. Dans la vraie vie, c’est différent, une centrale de production ne se construit pas en peu de temps ! Mais il faut l’avouer, c’est pratique, les théories. Souvent, en pratique, les théories ne marchent pas, ce qui devrait les rendre caduques, sauf si cette théorie est une croyance religieuse. La théorie de la loi du marché est une croyance religieuse. En pratique, c’est vérifié, elle ne fonctionne pas du tout. La sainte loi du marché efficient est une croyance fondamentaliste, et cela empêche toute remise en question, même quand le réel frappe a la porte, (en psychologie on appelle ça de la dissonance cognitive). Pourtant, le problème est basique, le prix du marché de l’électricité est le prix de la centrale électrique qui arrive au dernier moment, en bout de chaîne, soit la centrale au gaz : le prix de l’électricité est fabriqué par le prix du gaz ! Peu importe que l’essentiel de la production, en Europe, ne soit pas faite par du gaz, c’est le prix du gaz qui compte. Alors, comme le gaz, russes sont les montagnes ! Vladimir a bon jeu de jouer avec la vanne du robinet ou de souffler sur les braises géopolitiques pour faire monter ou baisser le wagonnet du prix. Basique…
Dans un contexte de yoyo tarifaire, celui qui désire investir dans la production électrique du mal à y voir clair. Seuls les joueurs de casino s’y risquent et ceux-là ne manquent pas, on leur ouvert un casino avec des règles sympathiques : « Face tu gagnes, pile l’État perd ». Pourtant, la production d’électricité n’est pas un métier de joueurs. Elle demande rigueur, prévoyance, planification, des temps longs. La production d’électricité et sa distribution est technique, rien de bien excitant. Elle demande de lourds investissements sur des décennies (30 à 40 ans) et le taux d’intérêt de l’emprunt est ce qui fait le prix de la centrale. Emprunter à 1 % ou 9 % cela change tout, une centrale qu’elle soit nucléaire ou renouvelable, coûte 4 fois plus cher a 9 % qu’à 1 %. Mais quand le prix change toutes les heures, quand il est impossible de connaitre la météo du prix à plus de trois jours, et quand il faut investir pour 40 ans, le banquier, l’investisseur demande le max, 9 %! Et puis, les adeptes de la religion du marché spéculatif n’aiment pas les temps longs : ils aiment les raids spéculatifs, les retournements d’alliance, les décisions qui surprennent le marché. La « Win », ce n’est pas laborieux, les écoles de commerce leur apprennent qu’ils peuvent faire n’importe quel métier, et changer de poste ou de métier tous les deux ans. La constance du jardinier ne fait pas partie de leur compétence. La « Win » ne parie pas sur 40 ans ! Pourtant, la production d’énergie d’un pays, d’un continent, nécessite la constance d’un jardinier, le sérieux d’un ingénieur. Remettre le choix de fermeture ou d’ouverture des usines électriques à des pressés de l’excédent brut d’exploitation, aux princes du cash-flow, c’est s’exposer à des fermetures brutales, sans concertation, quand le prix est bas, puis à des spéculations quand le prix est haut ! Quand le système merdoie, on demande à l’État de venir épancher le merdier, une fois que tout le monde est bien crotté.
Cela fait 20 ans que le marché de l’électricité est dérégulé, déplanifié, bordélisé en Europe, petit à petit. Depuis 10 ans, la production nucléaire française est pillée. Il faut du temps pour détruire un service public qui fonctionne. Une tempête arrive et le navire, qui prenait l’eau de toute part, coule. La destruction de l’hôpital a pris une bonne décennie, le Covid a fini de l’achever. La destruction du service public de l’énergie a mis 20 ans, le Covid en révèle l’ineptie. Pour l’instant, tout le monde a de l’électricité chez soi et les coupures ne sont pas encore là. Elles arriveront, c’est une certitude ! Une panne en trop et un grand froid suffiront. Le pillage du service public de l’énergie, ses délirants investissements à l’étranger (des dizaines de milliards perdus par ses brillants PDG), l’ont empêché d’investir depuis deux décennies. Ses centrales de production d’électricité vieillissent. Elles ne sont plus renouvelées, ni maintenant entretenues. Nous aurions pu les remplacer à temps, par des énergies renouvelables, des économies d’énergie, ou même des centrales nucléaires neuves, si l’on savait encore en construire, ce qui n’est plus le cas. L’EPR est construit, mais depuis quelques années, EDF le répare, alors qu’il est neuf ! Imaginez-vous : vous achetez une voiture neuve, et l’emmenez chez le garagiste faire changer la culasse ! Votre garagiste vous annonce, à chaque fois que vous souhaitez la récupérer, qu’il vient de découvrir une pièce de plus à changer...
C’est basique à comprendre. EDF, non seulement, ne renouvelle plus son parc de production, mais il n’entretient plus correctement ses vieilles centrales. Si EDF était une compagnie de taxi, elle aurait une flotte de R18 et de 404 avec 300 000 km. Elle aurait quelques R25 plus récentes avec des moteurs sortis de l’usine avec de graves défauts de fonderie. Elle aurait acheté une voiture neuve qui serait chez le garagiste depuis son achat. Nous seulement, le parc est vieux mais, les dépenses d’entretien sont réduites. Pourtant, les besoins d’entretien s’envolent avec autant de vielles casseroles. Pour économiser les frais de garagiste, notre compagnie nationale économiserait sur le petit personnel mécano en prenant des précaires mal formés. Elle virerait ceux qui alertent, encouragerait ainsi le mensonge par son mode de gestion ! Une belle assurance d’avoir des pannes à répétitions, voire des accidents. Au lieu de faire les réparations nécessaires sur les véhicules de manière préventive, la compagnie de taxi, pressée par le manque de disponibilités de ses véhicules, choisirait de mettre le problème sous le tapis et de ne réparer que lorsque les pièces lâchent. Le problème de ce choix de maintenance est qu’on joue avec le hasard. Avec une maintenance préventive, vous pouvez programmer les arrêts et gérer la disponibilité. Le choix de la maintenance curative est l’aléa : parfois les pannes tombent au bon moment, parfois plusieurs véhicules sont en rades en plein départ de vacances dans une période sans marge. Moralité dans un marché où la course de taxi est cotée d’heure en heure, l’offre s’écroule et le prix s’envole.
Les vieilles centrales sont en bout de course, les plus récentes sont sorties d’usine remplies de défauts. Les premières centrales 100 % françaises livrées dans les années 90 annonçaient, avec leur retard et surcoût, la tragédie de l’EPR.
Le danger de réduire le coût de l’entretien des vieilles centrales nucléaires est évident. Cette politique nous fait courir un risque immense et ruinant : l’accident sévère, en langage Nuke ; la grosse cata, en langage courant. La force de communication du Nuke est dans sa façon de changer les mots. D’une personne violente et maltraitante, dit-on qu’elle est sévère ?
Actuellement, l’entretien des centrales est effectué par du personnel mal payé et mal formé. Seuls les managers, rivés sur leur tableau Excel, peuvent croire au père Noël. Le père Noël, ici, consiste à croire qu’un travail technique, fait dans des conditions humaines déplorables, vite et à moindre prix, soit un travail de qualité. La réalité est que les techniciens font semblant, on triche, on remplit les papiers, on coche les bonnes cases, on achète les agréments pipeau. Dans la réalité, le travail est bâclé, les problèmes enterrés, la réalité embellie, le mensonge, la règle. Le souci, pour qui connait vraiment la technique (c’est-à-dire pas ceux qui nous dirigent ou communiquent) sont les détails. Un coude dont l’acier a trop d’impuretés, c’est un détail. Il est joli, flambant neuf, sur la photo de l’inauguration, il ne fait pas tâche. La différence se voit des années après. Mais quand les problèmes arrivent, les ronds-de-cuir qui ont signé les papiers de conformité, sont partis dans une retraite confortable. Ils sont de tout manière à l’abri de la leucémie, pas comme un vulgaire précaire.
Il y a urgence à investir massivement dans l’hôpital, pour que nous soyons encore soignés. Investir dans l’hôpital veut dire investir dans l’humain et pour être même précis, dans le travailleur de terrain, productif, l’aide-soignante, le médecin, l’infirmière, pas dans le manager à tableau Excel, dans son bureau, loin du terrain, chargé de faire des stats et du flicage. De la même façon, pour l’électricité, il est urgent d’investir dans la maintenance de nos centrales, dans le travailleur exposé, dans le soudeur, dans le remplacement préventif de tonnes de tuyauteries à bout de course. Au lieu de cela, l’État assure les profits des traders de l’électricité, qui achètent pour revendre. Il s’attaque aux conséquences d’un casino qui s’emballe, sans le remettre en cause. Les causes s’appellent, en français technocratique, la “libéralisation du marché de l’électricité” ; mais en français technique ? Sa “bordélisation” ! S’attaquer aux causes nécessite une série de recettes déjà employées dans l’histoire, basiques, simples et efficaces, mais coûteuses, politiquement. Il faut en effet s’attaquer aux juteux profits des multinationales de l’énergie :
- Nationaliser la production d’électricité (nucléaire et renouvelable) comme son transport et sa distribution, et au-delà, la distribution du gaz, c’est indispensable ;
- Faire voter un choix clair aux français, par référendum : « Préférez-vous du nucléaire ou des renouvelables ? Vous devrez accepter les inconvénients de votre choix ! » ;
- Instituer un tarif progressif de l’énergie : plus je consomme, plus je paie. Première tranche pas chère, deuxième tranche prix moyen, troisième trancheà prix élevée. Dernière tranche, très élevée ;
- Mettre en place un service public des économies d’énergie, financé par cette tarification progressive et l’impôt. Flécher l’épargne des ménages dessus ;
- Investir immédiatement dans un plan d’urgence de sécurité nucléaire, quel que soit le résultat du référendum : intégration des précaires du nucléaire dans EDF, professionnalisation, suivi médical financement de la réparation des tuyaux défectueux ;
- Mettre un financement à 0 % des infrastructures de l’énergie, car le taux de financement est la donnée la plus importante en énergie ! C’est basique, vous n’avez pas les bases ;
- Flécher l’épargne des ménages sur les économies d’énergies. Sans service public de l’énergie et des économies d’énergie, pas de transition énergétique réussie, donc adieu le climat ;
Le proverbe légendaire des technocrates est qu’il n’y a pas de problèmes que l’absence de solution finit par résoudre. Les non-choix de ces 10 dernières années nous amènent vers le noir. Le choix de la ruine d’EDF, réalisé hier, et amplifié aujourd’hui, nous amène des conséquences dramatiques : panne généralisé (blackout) comme au Texas – risque fort d’accident nucléaire – pas d’argent pour les économies d’énergies et les renouvelables. Quelle belle idée que de faire une transition énergétique trop lente, dans un pays sans pétrole et gaz, quand les fossiles deviennent rares et chères !
Malheureusement dans le nucléaire, on est plus fort en lobbying qu’en soudure ! Le lobby du nucléaire va de l’ENA à la CGT-ÉNERGIE, en passant par tout la haute administration, et la vieillesse votante et réactionnaire. Ils arrivent même à convaincre la jeunesse angoissée par la catastrophe climatique d’être un remède. Chapeau bas pour le bourrage de crâne. Ce lobby immense est parvenu à freiner le développement des énergies renouvelables et des économies d’énergie. Il craignait que cela enterre sa croyance absolue dans le nucléaire. Abrutis par leurs certitudes, ils n’ont pas vu que le système libéral empêchait, non seulement, la relance du nucléaire, mais qu’il empêchait jusqu’à son entretien, et ruinait leur boutique, en la dépeçant de l’extérieur et à l’intérieur. De l’extérieur, par le marché ; et à l’intérieur, par les délires mégalos qui affectent régulièrement les dirigeants du Nuke, une maladie chronique et hors de prix. Cette folie les a ainsi conduits à ruiner eux même leur propre boutique à coup d’investissement foireux dans des mines sans uranium ou par l’achat à l’étranger de vieilles centrales mal entretenues. Ils ont vendu des centrales neuves EPR mal conçues, avec des garanties de SAV. Au moins, dans le photovoltaïque, les arnaqueurs disparaissent sans laisser de trace. Si vous avez une R18 mal en point ,qui ne vaut rien, il faut la vendre à une compagnie de taxi qui adore les R18, et les achète cher. Les véritables destructeurs du nucléaire, ce sont eux. Ils ont fait bien plus de mal au secteur que tous les antinukes réunis.
Depuis quelques années, portés par de richissimes et brillants gourous qui ne mettront jamais la main sur une pelle, le nucléaire revient, en jouant toujours sur l’image d’une industrie de pointe, portée par un haut niveau de technologie, nous promettant de nouvelles générations de réacteurs, sans risques, sans déchets (MDR). Le nucléaire est présenté comme un fleuron du progrès scientifique, la fine fleur de la virtuosité technique. Dans la réalité, sur le terrain c’est tout le contraire : ce sont des infrastructures vieillissantes et des mentalités moyenâgeuses chez leur partisans, dirigeants. Les centrales s’effilochent, le prétendu sommet de la technologie humaine se révèle une vulgaire affaire de plomberie. Le mépris pour les ouvriers confine à la féodalité. Les têtes qui protestent ou juste alertent, se font décapiter (exemple 1 - exemple 2 ). Sur place, les opérateurs bricolent au compte-goutte avec des bouts de ficelles. Le pire, dans cette histoire, est que les ronds-de-cuir et leurs gourous, qui décident de toute cette mascarade, ne sont pas ceux qui iront nettoyer le merdier. Ils resteront tranquillement devant leurs tableaux Excel, dans leurs conférences, sur leurs plateaux d’interview. Ils ont ruiné leur service public, ils vont nous mettre dans le noir, ils ruineront bientôt la France, à 500 milliards d’euros minimum l’accident. Actuellement, ils mettent dans des situations humaines et techniques bancales le personnel qui répare. Certes, c’est certain, ce ne sont pas eux qui iront comme au Japon, balancer de la résine mélangée à du papiers journal déchiqueté pour boucher les fuites. Ils n’iront pas pousser avec brouettes, râteau et pelles les débris du fleuron de la technologie française. Ils n’auront pas un dosimètre qui crépite sur le dos. Eux, ils géreront les doses reçues par les travailleurs. Ils affirmeront, péremptoires, qu’en fait, cela ne va pas si mal. Ils raconteront que tout colle dans leurs tableaux, depuis qu’ils ont relevée les normes de dose recevable en y rajoutant un ou deux zéro. Ils mettront en place de compliquées procédures, souvent inutiles, mais toujours bien vendues. Ils se moqueront de ces travailleurs qui picolent, en revenant de l’enfer. Ils raconteront que l’alcool fait plus de dégât que les rayons gamma.
Un ouvrier technicien….
Jean Ganzhorn
PS 1:
Le pire, dans cette histoire tragique, est que tous les lanceurs d’alerte se font laminer, virer. Les managers du Nuke, avec la complicité des grands syndicats maisons bien choyés, font régner l’omerta. Au lieu de les utiliser pour réclamer des moyens supplémentaires, il impose la pensée totalitaire. Boris Cyrulnik en parle brillamment dans cette conférence et ils devraient consulter, un vaste choix de 430 psychothérapies existe.
PS 2 : Le pire est que pour les renouvelables, la loi du marché fait aussi de la merde alors qu’elles sont un des rares espoirs qui nous reste face a la catastrophe climatique qui va nous secouer.
PS3 : Faire des prédictions sur l'avenir c'est casse-gueule mais en se qui concerne une mauvaise maintenance,c'est facile. Je vous reporte sur ce qu'on disait sur le marché électrique, on peut voir qu'on avait vu a peu prés juste:
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